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PÉRIODE DE KAMAKOURA

val, et non plus en voiture à bœufs[1]. On ne recherchait de terres que dans le sud-ouest, et non plus dans le nord-est.

À ce moment, une affaire m’amena à la nouvelle capitale. Quand je vis la configuration de l’endroit, il était trop étroit pour qu’on y pût établir des rues. Au nord, les pentes élevées d’une montagne ; au sud, un terrain bas vers la mer toute proche. Le bruit des vagues vous fatiguait sans cesse ; et sans relâche soufflait le vent de la mer. Le palais impérial, là-bas dans les montagnes, ressemblait un peu au Palais rond d’arbres bruts[2], bien qu’il ne manquât pas de grâce. Les maisons qu’on envoyait chaque jour, démolies, par voie d’eau, où les reconstruisait-on ? Car il y avait beaucoup de terrains à bâtir, et peu de maisons achevées.

Tandis que l’ancienne capitale était déjà désertée, la nouvelle n’était pas encore terminée. Les hommes se sentaient flotter comme sur un nuage. Ceux qui habitaient là depuis longtemps se plaignaient d’avoir perdu leurs propriétés ; et ceux qui venaient d’y arriver regrettaient d’avoir à subir l’ennui des travaux. A regarder la route, on voyait à cheval les gens qui auraient dû aller en voiture ; et ceux qui auraient dû porter des vêtements seigneuriaux avaient des tuniques de soldats. Les élégances de l’ancienne capitale avaient disparu ; tous étaient devenus des guerriers campagnards[3]. C’étaient de ces signes malheureux qui annoncent les désastres publics ; tout le monde était inquiet, et bien des jours se passèrent avant que l’esprit des hommes retrouvât son équilibre. Mais cet émoi du peuple ne fut pas sans résultat ; et dans l’hiver de la même année, on revint à l’ancienne capitale.

Cependant, qu’advint-il des maisons qui avaient été démolies ? On ne put restaurer l’état antérieur. On dit que pendant les sages règnes de l’antiquité, les souverains

  1. Les voitures de cour, traînées par des bœufs, devenaient inutiles.
  2. Ki no marou-dono, un palais que l’empereur Tenntchi (p. 77, n. 1), en deuil de sa mère l’impératrice Saïmei (661), avait fait construire ainsi, à Açakoura, par esprit de simplicité, et que célébrait une vieille poésie du Manyôshou, attribuée à Tenntchi lui-même.
  3. Le gouvernement militaire de Kiyomori ramenait les hommes à la barbarie.