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Je ne crois pas enfin que ces vices qu’on suppose l’aient fait chasser honteusement de la cour : autrement, on l’aurait su, et Mouraçaki Shikibou, qui n’aimait pas cette rivale de mœurs trop libres et d’une fantaisie trop siugulière, qui a même tracé d’elle[1] une esquisse peu flatteuse où elle va jusqu’à l’accuser de ne pas savoir écrire correctement, ne nous aurait certes pas laissé ignorer un événement d’une telle importance[2]. À ces caricatures, opposez le portrait d’une de ces Françaises de l’ancien régime, hardies, garçonnières et spirituelles, qui scandalisèrent parfois la cour et la ville, mais qui n’en furent pas moins, au fond, des femmes plus sérieuses qu’on ne croirait, et vous vous ferez une plus juste idée de ce que fut jadis, au palais de Kyoto, leur lointaine sœur japonaise.

MAKOURA NO SÔSHI[3]

Le Makoura no Sôshi, écrit par Sei Shônagon alors qu’elle était dame d’honneur, dut paraître sans doute dans les toutes premières années du xie siècle[4], à peu près en même temps que le Ghennji Monogatari. On peut traduire ce titre par « Notes de l’oreiller », l’auteur désignant par là, comme il ressort de son Épilogue[5], une liasse de papier blanc où elle jetait ses pensées intimes comme elle les eût confiées à son oreiller, un cahier où

  1. « Mme Sei Shônagon a un caractère orgueilleux. Elle est forte en littérature. Pour déployer partout ses connaissances, elle se sert toujours de caractères chinois ; mais, quand on examine de près ce qu’elle a écrit, il y a bien des choses qui laissent à désirer… » (Mouraçaki Shikibou Nikki.)
  2. C’est aussi l’opinion de M. Foujioka Sakoutarô, professeur à l’Université de Tokyo, dans son récent ouvrage sur la période de Héian : Kokouboungakou Zennshi, Héian-tchô-henn, Tôkyô, 2e éd., 1906, p. 417.
  3. Makoura no Sôshi, et non Makoura Zôshi, comme on l’écrit quelquefois ; car cette dernière prononciation éveille chez les Japonais l’idée d’un livre pornographique. En 1901, une décision ministérielle suspendit une revue qui portait ce titre.
  4. Vers le commencement de l’ouvrage, il est fait allusion à la retraite de l’empereur Kwazan (voir plus bas, p. 226), qui se produisit en 986 ; vers la fin, il est question du général Toshikata et du ministre Maçamitsou, qui exercèrent leurs fonctions vers l’an 1002 ; par où nous voyons, tout au moins, que le Makoura no Sôshi ne fut achevé qu’après cette dernière date.
  5. Voir ci-dessous, p. 223. Il n’est d’ailleurs pas certain que Sei Shônagon ait donné elle-même ce titre à son ouvrage, que les plus anciens documents appellent tout simplement Sei Shônagon no Ki, « le Livre de Sei Shônagon », et qui n’apparaît sous le nom de Makoura no Sôshi que chez les écrivains postérieurs ; mais, dans tous les cas, c’est l’Épilogue indiqué qui explique cette dénomination pittoresque.