Page:Revoil Voyage au pays des Kangarous 1885.djvu/91

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
88
VOYAGE

en s’y accrochant, et alors des avalanches de roches viendraient écraser les audacieux mortels cherchant à accomplir le travail des Titans. Il y avait encore un moyen : celui de franchir la distance en escaladant la chute d’eau elle-même ; c’était l’opinion de Gérald.

Le bruit de la cataracte empêchait d’entendre la voix, même la plus rapprochée ; aussi Arthur ne put-il s’opposer à l’ascension de Gérald, qui se hissa sur la première marche de l’escalier des Géants, et qui y fut immédiatement suivi par Hugues ; tout le monde se hâta de suivre son exemple.

L’endroit où les deux audacieux avaient pris pied se trouvait large d’environ quatre à cinq pieds et parfaitement sec. C’était là, en effet, le seul chemin praticable qui pût être suivi par les voyageurs ; mais quelle difficulté pour surmonter ces obstacles !

Jack, lui, n’avait pas perdu la tête. Il portait en sautoir une corde assez solide à laquelle il songea aussitôt. Il en jeta un des bouts aux deux jeunes gens, et leur enjoignit de l’attacher très solidement aux racines d’un arbre qui se trouvait près d’eux. Cela fait, Max Mayburn, Marguerite, Jenny et Ruth furent enlevés, et parvinrent sans encombre près d’Hugues et d’O’Brien. Arthur et Wilkins se disposèrentà les suivre ; mais Wilkins pria le chef de la caravane de le laisser en bas jusqu’à ce que l’ascension fût achevée. Il voulait surveiller les derrières, afin de prévenir toute attaque de ce côté.

Les femmes et Max Mayburn eurent la plus grande difficulté à franchir les nombreuses marches de la cataracte, qui étaient, en certains endroits, fort glissantes ; mais enfin tout le monde arriva sain et sauf au sommet de la montagne.

À ce moment-là, Jack fit un signe, à l’aide de son mouchoir de poche, car il eût été impossible de se faire entendre, et alors Wilkins se hissa de rocher en rocher jusque auprès de ses compagnons. Le premier sentiment de toute la troupe fut d’adresser à Dieu des actions de grâces. La prière achevée, on jeta les yeux dans toutes les directions. Il fut alors évident que les voyageurs se trouvaient sur le véritable territoire australien. La rivière n’était plus qu’un ruisseau divisé en plusieurs petits canaux, dans la direction de l’est au sud-est. Une clairière, ombragée par des taillis aérés, s’ouvrait devant eux, et sous les arbres croissaient des fleurs et des plantes d’une rare beauté. Des oiseaux au plumage étincelant s’ébattaient de toutes parts, et des insectes multiples humaient le pollen des plantes. Il n’y avait en aucun lieu des traces de pas humains. Dans la direction du sud-est, l’œil suivait une chaîne de montagnes, vers laquelle les vœux de tous les voyageurs se transportaient.

« C’est là que nous devons parvenir, cher père, dit Arthur. Grâce à Dieu, nous voici dans le pays de Chanaan ! Nous n’avons rien à craindre tant que nous avancerons sur des terres bien arrosées. Si vous n’êtes pas trop fatigués, vous et Marguerite, nous allons nous diriger vers un endroit moins exposé que celui-ci aux rayons du soleil, et moins en vue des indigènes. En suivant le premier canal de la rivière nous nous guiderons dans la direction de l’est-sud-est sans nulle difficulté. »

Un cri aigu se fit entendre, et un oiseau magnifique vint tomber aux pieds de Max Mayburn, transpercé par une flèche.