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AU PAYS DES KANGAROUS

Et puis, cher père, nous avons maintenant un but : celui de rejoindre les Deverell un jour ou l’autre.

— Je voudrais que nous y fussions déjà, répliqua le père à sa fille ; mais pourrons-nous jamais traverser tout le territoire qui nous sépare de nos amis de l’Amoor ? Comment nous sera-t-il possible de pénétrer au milieu des forêts, de grimper sur la cime des montagnes, et de traverser des rivières débordées ?

— On vient à bout de tout, observa Wilkins. J’ai connu des camarades d’infortune qui, las de l’esclavage de Botany-Bay, s’étaient sauvés, et, malgré tous les dangers d’un voyage à travers le désert, s’étaient aventurés droit devant eux pour se rendre en Chine. J’ai su plus tard qu’ils étaient arrivés à leur destination.

— Et d’ailleurs, continua Arthur, j’ai lu de nombreuses relations sur cette colonie, qui s’accordent à dire qu’il y a, de l’autre côté des plaines désertes, un pays luxuriant de verdure, et des cours d’eau remplis d’excellents poissons. Rien ne nous empêchera, avec l’aide de Dieu, de pénétrer dans ce pays béni, à pied, à petites journées ; car je vous avoue ne plus avoir assez de confiance dans mes connaissances nautiques pour risquer un second voyage jusqu’aux îles. Du reste, c’est à vous de décider ce que vous voulez faire. Parlez, mon père.

— Je veux suivre tes conseils, répondit Max Mayburn, et m’en rapporte absolument à ton énergie et à ton jugement.

— Nous arrêterons-nous à la cascade ? demanda Hugues, qui se trouvait encore dans l’un des canots.

— Débarquons d’abord ici, répondit Arthur. Voici une grotte au milieu des rochers, à l’abri des atteintes de la marée, où nous pouvons reposer cette nuit, dans le voisinage de l’eau douce. »

L’endroit paraissait très convenable, sans être tout à fait à couvert. Marguerite elle-même, délicate comme une jeune fille, ne faisait plus la moindre attention à ces nuits passées à la belle étoile ; sa tête n’avait pour oreiller qu’une roche plate ou un tronc d’arbre ; mais son cœur était tranquille, et elle se confiait en Dieu.

De grand matin les jeunes gens se rendirent près de la rivière, afin de se baigner. Ils découvrirent alors une grande abondance de poissons dans ces eaux, et réussirent, à l’aide d’une lance de bambou, à en transpercer deux énormes, de l’espèce dite « morue de rivière », la même qu’ils avaient pêchée dans le lac de l’île déserte. Ils revinrent bientôt à ! a grotte, tout glorieux de leur capture.

« Voilà une bonne prise, dit le père à ses enfants, qui va nous procurer un excellent repas ! »

On fit bouillir la morue dans de l’eau salée, et les voyageurs se délectèrent de cette nourriture saine et délicate.

Dans l’après-midi du même jour, les deux canots remontèrent la rivière au moment de la marée ; il leur fallut des efforts énergiques pour avancer contre le courant sous un berceau naturel de mangliers, dont les racines étaient couvertes d’huîtres et de moules, suspendues en grappes, comme des fruits aux branches des arbres.