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AU PAYS DES KANGAROUS

colte, afin qu’elle servît à d’autres, si le malheur voulait qu’un autre navire fût jeté sur cette île qu’ils allaient quitter.

Parvenus dans le voisinage de la falaise, un pied de laquelle ils avaient aperçu les naturels, Hugues et Gérald s’avancèrent encore avec précaution, afin de s’assurer que ces moricauds n’avaient point reparu. On les vit tout coup se retirer avec des marques de terreur. Il y avait certes sujet de trembler ; car, sur la plage même, ils avaient vu une peuplade de gens nus, le corps horriblement peint, et rayé de zones tracées à la chaux dansant, chantant, et jetant en l’air leurs armes, qu’ils rattrapaient à la volée.

Les jeunes garçons firent signe aux autres de s’arrêter et d’observer le silence le plus profond ; mais Ruth, qui se trouvait toujours où elle ne devait pas être, s’était avancée jusqu’à leurs côtés sans qu’ils s’en aperçussent. Voulant savoir ce qui avait causé la frayeur de Gérald et de Hugues Mayburn, elle se pencha à travers un buisson pour mieux regarder.

O’Brien, craignant que la jeune fille ne fut vue par les sauvages, se jeta en avant pour la tirer à lui par un de ses bras, quand au même moment celle-ci, cherchant à se cramponner, car elle était terrifiée à la vue de tous ces hommes hideux, perdit l’équilibre et roula le long de la pente, entraînant avec elle son panier plein d’œufs jusqu’au milieu de la troupe des noirs, qui s’ébattaient sur le rivage.

La malheureuse enfant s’était relevée aussitôt, et regardait autour d’elle, en poussant des cris d’alarme, tandis que les naturels, très effrayés, examinaient cette étrange créature qui se montrait tout à coup à leurs yeux. Ruth possédait des cheveux très longs et d’un rouge de feu, épars sur un châle écarlate. Sur son visage pâle coulait une grande quantité de sang, provenant des écorchures qu’elle s’était faites au visage en tombant à travers les buissons épineux.

Pendant quelques instants les sauvages demeurèrent immobiles ; puis sans demander leur reste, sans regarder autour d’eux, ils fuirent vers la plage, et quelques minutes après on les vit se jeter dans leurs canots et faire force de rames, afin de quitter un rivage hanté par un spectre.

Pendant que ceci se passait, Jack, très alarmé au sujet de sa sœur, était descendu près d’elle, suivi par les autres jeunes gens. L’air abasourdi, l’aspect anéanti de Ruth, les gémissements incessants qu’elle faisait entendre, excitèrent l’hilarité de Gérald ; mais il se contint aussitôt, car il entendit le frère dire à sa sœur avec bonté :

« Allons, calme-toi. Dieu merci, il ne t’est rien arrivé de fâcheux. Voyons, voyons, sèche tes larmes !

— Mais j’ai cassé tous les œufs, répondit-elle. Que va dire mistress Jenny ?

— N’importe ! ramasse ton panier. Nous retournerons au lac là tu pourras te laver le visage et renouveler ta provision de cette façon tout sera réparé. »

Ruth consentit alors à cesser de se plaindre, et elle suivit son frère, dont la philosophie affectueuse acheva de la dérider.

Pendant cette excursion, les jeunes Mayburn ramassaient sur la plage des pagaies, des boute-hors et des cordes, fabriqués avec des filaments d’une extrême solidité, et que les sauvages timides avaient abandonnés en fuyant.