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AU PAYS DES KANGAROUS

— Peut-être, surtout quand je songe à l’endroit où sont maintenant les camarades.

— Racontez-nous ce qui vous est arrivé, demanda Max Mayburn, par quel malheureux accident…

— Pas si malheureux que ça, interrompit le marin ; je me sens aussi à l’aise que je l’ai jamais été aux plus mauvais jours de ma vie, et si ce n’était l’absence de tout spiritueux. Mais qu’importe ! voilà l’affaire : Nous nous laissions aller au gré des vagues et ne nous occupions qu’à une seule chose : nous réchauffer l’estomac avec un baril de rhum que nous avions emporté. Une fois ivres, on passa aux coups, et bientôt on dégaina. Au milieu de la bataille, un certain nombre de camarades se porta d’un côté du canot, et, crac ! nous fîmes tous le plongeon. Mort et sang ! quand nous nous retrouvâmes à la surface de l’eau salée, on eût pu entendre de l’enfer les hurlements que chacun de nous proféra. Il faisait nuit comme dans une cave, et l’on cherchait vainement une rame, un tonneau, une cage à poules, pour se cramponner et sauver sa vie. Nous étions tous plus ou moins ivres ; et, l’un après l’autre, je vis disparaître ceux qui m’entouraient. J’avais eu la bonne chance de tomber sur le baril vide qui avait contenu le rhum. Il restait encore un peu de spiritueux, et j’éprouvais à part moi un certain chagrin, en me disant que cette précieuse liqueur se mélangeait à de l’eau salée, laquelle pénétrait à l’intérieur par le trou de la bonde. C’est à ce moment-là que je me mis à crier à pleine voix ; il me sembla alors entendre parler ; je prêtai l’oreille, et le clapotement de la mer contre votre radeau devint perceptible. Je criai de nouveau, puis j’aperçus la lueur d’un feu rapide, et redoublai d’efforts pour arriver jusqu’à l’endroit où cette lumière m’était apparue. Tout à coup mon baril heurta les billes de votre radeau, je lâchai tout pour me cramponner à un bout de cordage. J’étais sauvé.

— Bénissons Dieu qui vous a protégé, malheureux, » ajouta Max Mayburn, qui s’agenouilla et invita Black Peter à en faire autant, et à se repentir en ce moment suprême.

Hélas ! le matelot ne répondit pas à l’appel du vertueux père de famille. Il s’était étendu par terre et cédait au sommeil, suite inévitable de l’immersion de plusieurs heures qu’il avait subie en état d’ivresse.





CHAPITRE V

La mer inconnue. — Insubordination d’un marin. — Les récif de corail et l’île en vue. — Périlleux abordage. — Peter se révolte. — La première nuit sur la terre ferme. — Ruth casse la vaisselle. — Ses huîtres. — La prose importante.


Lorsque l’aube parut, les infortunés échappés à l’engloutissement du Golden-Fairy purent se rendre compte de la terrible position dans laquelle ils se trouvaient. Tout autour d’eux leurs yeux n’apercevaient que les vagues d’une mer sans horizon ; un vent de sud-ouest soufflait avec force et mena-