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VOYAGE

« Ah ! mon bon maître, s’écria-t-elle, dussé-je être pendue, je dirai tout. Je n’ai pas cru que je pourrais être la cause de votre perte !

– Malheureuse enfant, explique-toi qu’as-tu fait ?

– Je vais tout vous raconter, continua Ruth, dont chaque parole était accompagnée d’un sanglot. Un des matelots du bord avait tendu une corde pour me faire tomber au moment où, revenant de la cuisine, j’allais regagner ma cabine afin de me coucher. Je fis une chute dans les escaliers qui conduisent à la soute ; ma lanterne s’ouvrit, et le bout de bougie qui brûlait dedans alla rouler je ne sais où. Lorsque je me relevai, je ne trouvai plus ni ma lanterne ni ma bougie, et je crus que cette dernière était éteinte. C’est égal, une fois couchée dans mon cadre, il me fut impossible de m’endormir, et je regrettai fort de n’avoir pas cherché plus attentivement la lumière qui s’était échappée de mes mains.

— Que Dieu te pardonne, ma pauvre enfant ! répliqua Max Mayburn quand Ruth eut achevé sa confession. Prie le Très-Haut de ne point faire retomber ta faute sur nous. Que cette terrible maladresse te serve de leçon, si, par la volonté de la Providence, nous parvenons à nous tirer du péril qui nous menace. »

Ruth restait agenouillée et pleurait à chaudes larmes ; Marguerite l’aida enfin à se relever.

« Mon père, dit-elle, nous ne devons pas rester dans cet endroit, où nous sommes suffoqués par la fumée. Montons sur le pont ; là, s’il n’y a plus d’espoir de salut, nous chercherons une place dans une embarcation.

— Passe la première, chère enfant, répondit Max Mayburn ; je te suis, comme toujours, car cette dernière infortune m’ôte tout courage, et je ne me fie qu’à toi pour me conduire. »

Le père et la fille parvinrent sur le pont, suivis de Ruth et de Jenny, qui portaient des paquets.

Tout était confusion en cet endroit : les matelots jetaient par-dessus bord les colis atteints par les flammes, que leurs camarades retiraient de la soute avec la plus grande difficulté.

À la lueur de l’incendie, Marguerite entrevit ses frères au milieu des gens de l’équipage. Ces braves cœurs pompaient avec la plus grande énergie, portaient des seaux remplis d’eau, et leur visage était noirci par les torrents de fumée qui les enveloppaient.

O’Brien, lui, avait eu les cheveux brûlés.

Max Mayburn s’avança alors vers le capitaine du Golden-Fairy. Celui-ci, dont l’ivresse n’était pas dissipée, se tenait sur la dunette au dehors de l’habitacle, rageant, sacrant et pestant, tout en donnant des ordres que son équipage ne suivait pas, car chacun agissait à sa guise.

« Capitaine Markham, dit le chef de la famille des passagers, l’incendie fait d’énormes progrès, et il me paraît urgent de songer au salut de ceux qui ont placé entre vos mains leur vie et leur fortune. Veuillez donner des ordres pour qu’on mette les embarcations à la mer.

— Que chacun de vous songe à sa sûreté ! s’écria Markham avec un blasphème sans nom. Moi je dois sauver mon navire avant tout, et je jure Dieu que je précipiterai tous ces coquins de matelots dans la fournaise s’ils ne