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AU PAYS DES KANGAROUS

« Votre Honneur, dit-il à Deverell, voudrait-il me montrer sur une carte la concession qu’il va exploiter ? »

Tout en parlant, il adressa un salut respectueux aux dames et à tous ceux qui étaient présents. Et il ajouta :

« C’est moi qui me charge de tout ; car mon frère n’est pas aussi intelligent que moi, son éducation a été négligée.

– Il paraît que la vôtre ne vous a pas servi à grand’chose, observa Edouard Deverell, puisqu’elle vous a conduit à Botany-Bay ?

– Je m’en félicite, Monsieur, répliqua le convict ; car, grâce à mon savoir, je compte m’élever dans ce pays libre ; et peut-être un jour me sera-t-il possible de conduire moi-même une voiture à moi, suivant la mode du jour. En Australie on peut arriver à tout quand on travaille et qu’on a la langue bien pendue. Hélas ! mon pauvre frère ne sait malheureusement ni A ni B.

– J’en conviens, fit celui-ci ; mais, par contre, je suis bon ouvrier, et je m’estime heureux d’être sorti de la compagnie des coquins, où j’avais été jeté pour avoir pris au collet un méchant lièvre dans les bois de lord Connaught. N’est-ce pas une punition terrible d’envoyer un brave homme au milieu des convicts pour une semblable peccadille ? Dieu soit loué me voici rentré dans la société ; j’ai fait mon temps, et j’ai bien juré de me conduire en honnête homme.

— Je ne comprends pas bien, observa M. Mayburn, comment il se fait que vous ayez été condamné à la déportation pour avoir braconné.

– Je vais vous expliquer l’affaire, répondit le gentleman convict à l’habit noir. Tiens-toi tranquille, Bill, fit-il en s’adressant son frère. Bill avait emporté son fusil, et avait décroché, deçà delà, quelques faisans, grâce à un superbe clair de lune qui lui permettait de voir ces oiseaux perchés, quand tout à coup, au détour d’une allée du parc, il se trouva nez à nez avec un des gardes. Il voulut se sauver ; mais le représentant de la loi le menaça de faire feu sur lui ; si bien que Bill, pour ne pas être tué, comprit qu’il fallait défendre sa vie. Il ajusta le garde et pressa la détente. Celui-ci tomba mort entre les bras de deux de ses camarades qui accouraient à son aide. Bill eut beau courir, il fut pris. Je crus devoir alors intervenir. Je n’avais qu’un bâton mais je m’en servis si bien, que je cassai le bras à l’un des deux gardes. On nous avait reconnus ; et quand les bûcherons, accourant sur le lieu de la bataille, nous eurent cernés, mon frère et moi, il fallut se rendre. Je vous épargnerai le reste de notre histoire. Un jugement très injuste nous a envoyés par delà les mers, dans ce pays béni du ciel, et nous ne retournerons plus en Angleterre, tant nous sommes heureux en Australie. »

En somme, David et Bill les deux convicts, malgré leur ton fanfaron, plurent assez à la famille Deverell et à ses amis ; Edouard, lui, rendit grâce au ciel de n’être pas tombé sur des coquins endurcis. Les deux convicts qui allaient leur servir de guide étaient la crème des bandits d’Australie.

Marguerite Mayburn ne put réprimer l’expression de chagrin qu’elle ressentit en se trouvant, à l’angle de l’un des quais de Melbourne, devant l’énorme et sombre navire si improprement appelé Golden-Fairy[1]. Elle

  1. La fée d’or.