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VOYAGE

— J’y ai songé, reprit le convict. C’est moi qui soigne les chevaux du campement : je me suis emparé des deux qui nous appartiennent à mon frère et à moi, et des quatre que montaient Black Peter et ses trois amis. Ils sont là derrière dans le bois, tout sellés et harnachés. À minuit je reviendrai, et j’espère que vous serez tout prêts à me suivre. Baldabella est prévenue ; elle sera des nôtres et nous accompagnera. Avant qu’il fasse jour nous serons loin d’ici. Les méchants camarades n’ont pas d’autres chevaux pour nous poursuivre et, d’ailleurs, leur ivresse ne sera pas de sitôt dissipée ».

On entendait vociférer de plus en plus les noirs et les « coureurs des bois » aussi Marguerite et les deux femmes se pressaient-elles les unes contre les autres dans la hutte séparée, et au fond de laquelle une issue avait été pratiquée par Gérald et Hugues pour fuir quand l’instant serait venu. On n’attendait plus que l’occasion favorable et le signal que Davy devait donner.

Peu à peu les hurlements et les blasphèmes s’éteignirent, et le silence se rétablit. Les captifs sentaient leur courage renaître et ils se levèrent quand la voix de Davy se fit entendre, laquelle murmurait à travers l’ouverture :

« En route, et surtout ne faites pas de bruit. Il y a un certain nombre de noirs couchés devant la hutte. Ne passez pas devant eux, de peur de les réveiller. Baldabella est là avec moi ; elle vous guidera ; moi je passe devant pour vous attendre à l’endroit où sont les chevaux. »

Les prisonniers sortirent l’un après l’autre de la hutte, et, conduits par Baldabella, se frayèrent un chemin à travers bois, sans s’occuper des épines et des broussailles qui déchiraient leurs mains et leurs vêtements. Un rayon de lune leur montra enfin Davy, tenant les chevaux par la bride, sur la lisière de la forêt.

« Arrangez-vous comme bon vous semblera, dit-il nous sommes douze, c’est-à-dire deux pour un cheval. Divisez le poids sur chaque bête. »

Baldabella refusa de monter un des chevaux : elle confia Nakina à Wilkins, et préféra marcher ; mais elle allait d’un pas si léger, qu’elle tenait pied aux chevaux, quelque chargée qu’elle fût ; malgré la rapidité de leur amble, à travers les plaines gazonnées.

Pendant six heures les fugitifs s’avancèrent dans la direction du sud, sans prononcer une parole et sans être poursuivis. Ce fut seulement quand vint le matin qu’ils célébrèrent leur liberté en remerciant le ciel d’avoir veillé sur eux. Davy lui-même joignit son humble prière à celle des Mayburn et de leurs amis.

Tous les voyageurs éprouvaient le besoin de prendre des forces par un repas substantiel : Baldabella exhiba alors un sac rempli de galettes et de noix dont il fallut se contenter. L’espoir de trouver de l’eau pour boire fit remonter les fugitifs à cheval mais ils ne tardèrent pas à se désespérer, car, tout en avançant au milieu d’un pays verdoyant, ils ne rencontraient ni source, ni ruisseau, ni lac. Dans tous les trous qui avaient été remplis par les pluies il n’y avait plus que de la boue humide. Les figuiers étaient nombreux sur le passage des cavaliers, mais ils ne portaient plus de fruits.