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VOYAGE

paraissait abattu, tandis que Wilkins manifestait la plus grande fureur. Il fallut qu’Arthur lui enjoignît de ne pas faire la moindre résistance, de se laisser prendre son chapeau et son gibier.

Cela fait, les voleurs exprimèrent leur admiration au sujet des vêtements compliqués de leurs prisonniers, dont ils désiraient s’emparer. Seulement ils ne savaient pas comment déshabiller les pauvres gens ; ils s’imaginaient peut-être que ces effets étaient partie intégrante du corps des « visages blancs ». Ils voyaient bien que Baldabella et son enfant appartenaient à leur race : aussi le chef, s’avançant vers elle, lui ordonna de le suivre pour faire partie de ses femmes.

L’infortunée, émue de terreur et d’indignation, refusa d’obéir ; mais alors le sauvage saisit Nakina et fit semblant de l’emporter, tandis que la mère, aidée par Arthur et Hugues, cherchait à reprendre la fillette, qui criait et pleurait. En ce moment-là, le chef, transporté de fureur, jeta l’enfant à l’eau. Hugues s’y précipita aussitôt ; et en quelques brasses rattrapa l’innocente créature, qu’il rendit à moitié étouffée à sa mère. Celle-ci s’était aussi précipitée dans le courant d’eau pour sauver Nakina.

Sur ces entrefaites, le chef s’était préoccupé des dépouilles des prisonniers. Les noirs avaient, par son ordre, pris tous les bagages, les couteaux, les haches, les fusils, les effets de toutes sortes, et les malheureux s’attendaient à être massacrés.

Lorsque le pillage des canots fut complet, quatre hommes se disposèrent à les emporter. En ce moment-là, un certain nombre de noirs se réunirent devant un sac de peau contenant la provision de poudre des voyageurs.

L’un d’eux, ouvrant un des paquets, en mit une pincée dans sa bouche, et cracha aussitôt cette composition avec des marques de dégoût. En même temps il se disposa à jeter le sac dans le foyer, rallumé par les sauvages.

Arthur, qui vit ce mouvement, cria à son père, à sa sœur et à ses amis de fuir, et il s’élança, espérant arrêter le bras du noir ; mais il était trop tard. L’explosion, une explosion formidable, eut lieu : le paquet de poudre avait éclaté, et il fut renversé évanoui sur le sol.

La terre éclata autour de lui, et les noirs qui ne furent pas renversés s’enfuirent dans toutes les directions, poussant des cris de terreur. Les éclats enflammés, de toute nature, retombant sur les buissons, y avaient mis le feu.

Tous les naufragés, à l’exception d’Arthur, qui avaient couru du côté de la rivière, avaient bien ressenti la commotion, mais aucun n’était blessé. Arthur revint enfin de son évanouissement lorsque sa sœur et Jenny lui eurent jeté de l’eau à la figure. Il lui resta seulement un tremblement nerveux qui dura plusieurs heures, et il n’eut à regretter que la perte de ses cheveux, brûlés par l’inflammation.

Quoique délivrés de la présence odieuse des sauvages, les voyageurs ne s’en trouvèrent pas moins exposés aux plus grands dangers. Les roseaux qui avaient pris feu dans la savane formaient une muraille enflammée qui s’opposait à leur fuite. Par bonheur, c’était une chance providentielle, ils avaient eu la bonne pensée de déblayer un certain espace de terrain, près du courant d’eau.