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AU PAYS DES KANGAROUS

Les jeunes voyageurs des familles Mayburn et Deverell éprouvèrent bientôt un charme inexprimable à jouir des surprises que leur réservaient la mer et l’espace éthéré sous la zone des tropiques, au milieu de laquelle ils étaient parvenus.

Tantôt ils se récriaient à voir s’ébattre, sur les vagues clapotantes, une nuée de poissons volants qui cherchaient à éviter, par des courbes précipitées, leurs ennemis de la mer et de l’air. Tantôt ils suivaient des yeux le pétrel des tempêtes, aux pattes fluettes, qui paraissait, à l’exemple de saint Pierre, marcher sur les eaux.

« Le pétrel, dont le nom doit venir de celui de l’apôtre, demanda Marguerite à son père, n’est-il pas le précurseur des tempêtes ?

— Telle est la croyance des matelots, lui répondit Max Mayburn en examinant à l’aide d’une lunette les mouvements de cet oiseau, qu’il n’avait encore connu que par la description du livre. Ce qui donne raison à cette croyance, c’est que le pétrel semble n’éprouver aucune crainte à l’heure où l’ouragan s’avance. On le voit gravir le sommet des vagues et descendre sur ses déclivités sans perdre de vue la proie dont il veut se nourrir. Je te dirai, ma chère enfant, ajouta le père à sa fille, que les pétrels se plaisent également aux heures de beau temps : tu les verras alors suivre le sillage des vaisseaux pour y pincer les détritus de toutes sortes qui tombent du bout d’un navire. Les poulets de la mère Carrey, comme les appellent nos matelots, sont aussi familiers que les perroquets domestiques, ornements de la boutique des oiseleurs de Londres.

— Regardez par ici, père, cria en ce moment Hugues à Max Mayburn ; voici un nouvel oiseau à ajouter à vos collections. Je le reconnais, c’est le grand albatros. »

Le brave homme examina alors avec la plus minutieuse attention l’oiseau géant, qui courait des bordées autour du navire, et dont les yeux perçants suivaient au milieu des vagues tous les objets qui tombaient à la mer et happait, pour ainsi dire, au vol ces prises sans valeur, très importantes pour lui au milieu de l’Océan.

L’albatros, à qui certains naturalistes ont donné le pouvoir de se percher au sommet des mâts d’un navire, sans en fournir les preuves, est tout bonnement le jouet de l’air, comme l’est un cerf-volant ou un ballon gonflé : son corps, tout composé de plumes, n’a presque pas la force de se mouvoir si le vent ne s’engouffre pas sous ses ailes pour le porter au caprice de sa fantaisie.

Un soir, après une journée torride, les deux familles étaient réunies sur la dunette de l’Amoor, se livrant à la contemplation des mystères de la mer. La vieille nourrice semblait plus ahurie que jamais.

« Rien ne se passe comme ailleurs à l’endroit où nous sommes, dit tout à coup Jenny Wilson à ses maîtres : la chaleur est plus terrible qu’en août, et le mois de mai n’est pas encore arrivé ; les poissons volent comme des oiseaux, les oiseaux marchent sur la mer comme ils le feraient sur le sable. Tout cela est surnaturel, mademoiselle Marguerite, et rien de bon ne peut survenir de cet état de choses.

— Oh ! si vous veniez habiter avec nous sur la terre où nous allons de-