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VOYAGE

« Quelle vue admirable cria-t-il à Hugues. Viens vite ici contempler la belle nature qui se déploie sous mes yeux. Des forêts, des vallons, des lacs, des rivières, et là-bas un chaos de rochers superposés. On dirait la fin ou le commencement du monde. Grand Dieu ! ajouta-t-il en se courbant rapidement et en se hâtant de descendre. Quel malheur »

Au même instant, la détonation d’armes à feu, répercutée par tous les échos des montagnes, prouva aux deux jeunes gens que leur solitude avait été violée par la présence des hommes.

« Mon bon ami Hugues, hâte-toi de descendre, fit Gérald, qui n’avait pas été atteint. Va-t’en dire à notre troupe de faire provision de charqui, de bois à brûler, et de ramasser tout ce qui traîne et peut trahir le secret de notre campement. Surtout que Ruth n’oublie pas ses volailles, et qu’elle enferme son coq. Les « coureurs des bois » sont à notre recherche. Je vais faire sentinelle, là, dans ce trou, au milieu des buissons, afin de m’assurer s’ils franchissent les remparts de notre vallée ou s’ils s’en éloignent. Et que l’on ne s’inquiète pas de moi, je suis mieux ici qu’en bas. »

Il n’y avait pas réellement de temps à perdre car partout, dans la petite vallée, on apercevait des traces d’habitation temporaire qu’il fallait faire disparaître. Près de la source, les baquets, les seaux étaient étalés ; le linge lavé séchait sur des buissons ; çà et là se trouvaient des couteaux et des haches ; les poules picoraient, le coq chantait, et les voyageurs humaient l’air pur sous les arbres.

Lorsque Hugues parut auprès d’eux et leur raconta ce qui se passait, quand ils eurent contemplé son visage, qui trahissait la plus vive émotion, ils se hâtèrent de tout remiser dans la plus grande des grottes. On n’oublia pas les poules, qui se laissèrent facilement prendre. Quant au coq, on fut obligé de lui jeter un manteau sur la tête, afin de s’en emparer ; l’oiseau crut alors que la nuit était venue, car il se résigna à ne plus chanter, et monta sur son perchoir pour dormir auprès de ses poules, dans l’intérieur de la grotte qui leur servait de poulailler.

Lorsque tout eut été remis en ordre dans la vallée solitaire, et quand plus rien ne resta dehors, les voyageurs rentrèrent dans la grotte, dont ils bouchèrent l’entrée à l’aide de rochers amoncelés avec un certain désordre ; puis on attendit le retour de Gérald, afin qu’il racontât ce qui se passait, et qu’il exposât les moyens d’éviter le danger.

Plusieurs heures se passèrent sans qu’O’Brien parût, et l’inquiétude se manifesta au milieu de tous les prisonniers. À la fin, Arthur, ne pouvant plus y tenir, se disposait à sortir pour aller à la recherche de son ami, lorsque l’on entendit la voix de Gérald, qui murmurait à travers une des fentes du rocher :

« Je ne suis ni serpent ni génie, et cependant je me glisse au milieu des fissures de la pierre. Sésame ! ouvre-toi ! »

On se hâta de livrer passage aux joyeux garçon, qui s’écria :

« Fermons bien toutes les issues ! dépêchons ! l’ennemi est à nos portes. Surtout que la clôture de notre retraite ne ressemble en rien à l’œuvre d’un maçon. »

On se mit à l’œuvre, et, grâce aux efforts communs, un énorme quartier