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AU PAYS DES KANGAROUS

que la nuit se fit, les voyageurs, qui mouraient de faim et pensaient à atterrir pour prendre leur repas, avaient franchi environ trente milles dans la direction du sud-ouest, sans faire de trop grands effort. Leurs yeux avaient été tout le temps éblouis par l’aspect merveilleux d’un paysage toujours admirable.

Ils débarquèrent alors sur le bord du fleuve, à l’ombre d’un bois épais remerciant Dieu d’avoir échappée leurs mortels ennemis. Le souper se composa de moules, d’écrevisses et de morue d’eau douce, que les naufragés du Golden-Fairy firent cuire comme ils purent ; car ils osaient à peine allumer du feu, de peur que la fumée ne trahit leur présence, ou que les flammes ne vinssent renouveler un autre incendie.

Avant de s’embarquer, quand l’aube parut, le second canot fut complètement achevé, et Jack façonna des rames et des palettes qui permirent de diriger convenablement les deux embarcations. Le quatrième, jour qui suivit leur départ, les voyageurs se virent forcés d’atterrir pour boucher les fissures de l’un des canots. À peine étaient-ils à l’œuvre qu’ils entendirent des coo-ee près d’eux et un bruit de pas à travers les arbres.

Sans attendre un moment de plus, on reprit le chemin de la rivière en faisant force de rames. À vingt mètres de distance, les deux canots passèrent devant un terrain découvert que les naturels avaient défriché en y mettant le feu. Là se tenaient un certain nombre de femmes et d’enfants, devant des cabanes ouvertes, et des sauvages armés de flèches et de bâtons, qui, la menace à la bouche, l’air furieux, se disposaient à attaquer les voyageurs.

Baldabella interpréta les paroles des naturels.

« Pourquoi les « visages blancs » sont-ils ici ? Qu’ils s’en aillent, ou malheur à eux ! » répondaient les noirs.

Et ils brandissaient leurs zagaies, bandaient leurs arcs et montraient leurs haches de pierre, de façon à intimider les intrus.

« Croyez-moi, monsieur Arthur, fit Wilkins, vous ferez mieux de ne pas prêter la moindre attention à ces forfanteries. »

Cet avis était excellent à suivre, et l’on fit force de rames ; ce qui n’empêcha pas les sauvages de faire bonne garde, comme s’ils se défiaient des projets des « visages blancs ». Ce qui les étonnait le plus, c’est qu’on ne donnait pas la moindre marque d’attention à leurs actes d’intimidation.

Ruth, que Jenny Wilson avait cherché à calmer, ne put retenir ses cris de terreur, et les sauvages croyant l’instant propice envoyèrent une volée de flèches dans la direction des canots.

Un détour opéré par les rameurs empêcha les projectiles d’atteindre les voyageurs. Seule Ruth fut frappée assez dangereusement au bras.

Quelques minutes suffirent pour entraîner les embarcations loin de toute atteinte, et le voyage se continua longtemps encore, jusqu’à ce qu’Arthur Mayburn et ses amis crurent que l’on pouvait s’arrêter sans risque.

Le vieillard et ses fils avaient pansé la blessure de la pauvre Ruth, qui perdait son sang et souffrait énormément on avait grand’peine à lui faire comprendre qu’elle n’en mourrait pas. L’infortunée allait même jusqu’à prier Jenny Wilson de ne pas oublier de la faire enterrer dans un cimetière