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VOYAGE

Je considère comme un bonheur qu’elle ne soit pas remplie, car nous eussions été forcés de rester de ce côté. »

Marguerite était trop faible pour résister, et Arthur dut lui donner le bras et la prendre autour de la taille pour l’aider à franchir le lit du torrent, dans lequel leurs pas s’incrustaient comme dans de la terre glaise. Wilkins et Jack transportèrent Max Mayburn dans leurs bras, et les autres se traînèrent comme ils purent jusque-là.

On s’arrêta sous un grand acacia pour se concerter et reprendre quelque force.

« Je pense, dit Arthur à Wilkins, que cette chaîne élevée de montagnes que nous voyons du côté de l’est, à une grande distance, doit fournir à ces plaines de l’eau et des sources. Je suis certain qu’il doit y avoir quelque réceptacle du précieux liquide à peu de distance d’ici. Vous et moi, mon pauvre garçon, nous sommes plus forts que les autres ; je propose donc que nous allions à la découverte pour leur apporter des secours dont ils ont un besoin absolu.

— Regardez, monsieur Arthur, îà-bas, entre les montagnes de cet endroit-ci, et dites-moi, fit Wilkins, si vous croyez le moment opportun pour abandonner nos camarades d’infortune, même pour un instant. »

Le fils aîné de Max Mayburn, en jetant les yeux à un demi-mille en avant, vit très distinctement une masse vivante qui s’avançait dans leur direction à travers la plaine. Les sauvages revenaient attaquer la petite troupe, et il n’y avait pas d’arbres pour se mettre à l’abri des flèches et des zagaies.

Revenu de sa première stupeur, Arthur dit à son frère :

« Ils doivent être plus près que nous ne le pensons, car je les entends très distinctement. Ne dirait-on pas le bruit de la chute des arbres ?

— Ou plutôt celui de l’eau qui court dans le lit d’un torrent, » observa Wilkins.

Tandis que les voyageurs échangeaient ensemble ces paroles, les noirs continuaient leur marche ; mais il était impossible que le bruit entendu par l’aîné des Mayburn fût produit par les pas de ces hommes. Ce bruit ressemblait à celui d’un corps d’artillerie qui s’avance, d’une troupe d’éléphants qui trépigne dans la jungle, d’un tonnerre lointain au milieu de montagnes boisées.

Tous ceux qui entouraient Max Mayburn ne savaient comment expliquer ce phénomène, et les femmes se mirent à genoux afin de recourir à la prière, extrême ressource et consolation des affligés.

« Mon père, disait Marguerite, le vent m’apporte l’odeur de l’eau. Oh ! donnez-moi à boire, ou je meurs.

— Mais c’est très vrai, ce que vous dites là ? L’eau arrive dans le lit du torrent. Je la vois bouillonner ! Elle avance. Viens, Hugues ! allons en prendre à notre soif. »

Et, tout en parlant ainsi, il sauta dans le lit rempli de boue.

« Vous êtes fou, jeune homme, s’écria Wilkins en le prenant par le bras pour le ramener au bord. Attendez ! nous aurons bientôt plus de liquide