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VOYAGE

Certain soir, l’orage étant très violent, la petite troupe, qui cherchait un abri dans un bois près duquel elle passait, vit tout à coup devant elle un groupe de huttes de feuillage ouvertes par devant. Sous ces hangars, un petit nombre de femmes noires couvertes de manteaux de fourrures étaient occupées à écraser du grain et des noix entre deux pierres, et elles chantaient à voix basse un air assez mélodieux.

Quelques hommes de taille élevée se tenaient devant les huttes, revêtus d’un vêtement très court, fait de peaux de bêtes, qui laissaient leur torse à nu. De cruelles cicatrices sillonnaient leurs poitrines. Ces sauvages fabriquaient des arcs et des flèches, et ils s’appliquaient avec tant de soin à ce travail, qu’ils tenaient les yeux baissés.

C’était sans doute la première fois qu’ils se trouvaient en présence de « visages blancs » mais ils faisaient, comme tous les sauvages, semblant de ne pas les voir. Les femmes elles-mêmes continuaient leur travail sans interrompre leur chanson. Ce ne fut qu’au moment où Baldabella s’avança vers les cabanes, en tenant son enfant dans ses bras, que tout ce monde-là écouta ses paroles.

Max Mayburn, désignant une de ces huttes vide, s’adressa à Baldabella et la pria d’interpréter ses paroles :

« Abri très bon pour « visages blancs », qui avaient froid et voulaient se reposer. »

Un signe d’assentiment permit aux voyageurs de s’installer dans la hutte déserte. Jenny se hâta de faire cuire les restes du kangarou, et quand le repas fut prêt, Max Mayburn invita la tribu amie à prendre sa part de ce rôti.

Les naturels s’étaient rassemblés autour des voyageurs avec un sentiment de curiosité, et après avoir goûté à la chair cuite du kangarou, ils parurent la trouver très bonne. Quant aux pommes de terre cuites sous la cendre, elles ne furent pas de leur goût. Les galettes d’avoine leur plurent davantage, particulièrement « les petits fours australiens », apprêtés au moyen de jus de figues.

Les femmes sauvages, voulant rendre la politesse aux étrangers, leur apportèrent des gousses qu’Arthur reconnut aussitôt pour être le fruit de l’acacia stenophylla, dont le goût ressemble fort à celui de la noix muscade. Les bons noirs offrirent encore de petits melons, ou plutôt des espèces de concombres au goût douceâtre qui croissaient dans les champs au milieu de ces parages incultes. Déjà, depuis vingt-quatre heures, les voyageurs avaient souvent rencontré ce cucurbitacé ; mais, ignorant s’il était bon à manger, ils n’avaient pas osé y toucher.

« Je pense que cette plante est le cucumis pubescens dit Max Mayburn. Quelle ressource pour l’entretien de la vie humaine dans ce pays plantureux observa le vieillard. La civilisation et la religion propagées parmi les sauvages feraient de cette contrée le théâtre du paradis sur la terre.

– Je me dis, cher père, dit Marguerite, que les Anglais n’ont pas agi très sagement quand ils ont amené les plus vils de leurs criminels au milieu de ces contrées inconnues. Quelle opinion ont dû avoir les indigènes de ces missionnaires du vice, arrivant tout à coup dans leurs tribus !