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VOYAGE

– J’espère que non ; mais avant tout bouchez cette ouverture, et alors je vous dirai ce que je sais. »

Les trois amis firent ce que demandait Jack, et quand ils se furent avancés avec lui jusqu’au fond de la roche volcanique, celui-ci s’exprima en ces termes :

« Nous étions parvenus au milieu du bouquet de bois, à la suite de ces maudits kangarous, quand tout d’un coup le cri d’appel des noirs frappa nos oreilles. « Nous sommes « pincés » ; me dit alors Wilkins. Voyons, jette-toi sous ce buisson ; moi, je reste aux écoutes afin de savoir ce qui se passe. » J’obéis à cette injonction, et je parvins au milieu d’un massif inextricable, m’attendant à chaque instant à voir arriver Wilkins. Quoiqu’il soit plus gros que moi, je m’imaginais qu’il était là, lorsque sa voix, proférant un terrible blasphème, me fit comprendre que le pauvre diable était tombé entre les mains des sauvages. Ceux-ci poussaient des cris de joie qui n’avaient rien d’humain. Ma première pensée fut de revenir sur mes pas pour lui porter secours ; mais je crus prudent de me glisser par terre jusqu’à une éclaircie, et je pus alors apercevoir une centaine de sauvages, au milieu desquels se démenait l’infâme Black Peter, peint et bariolé comme ses noirs compagnons.

« Wilkins était retenu prisonnier par quatre hommes qui avaient arraché de ses mains l’arc et les flèches dont il était armé. Black Peter disait à son ancien camarade « Vieil imbécile ! pourquoi es-tu resté dans la compagnie de ces cafards catholiques, ces faiseurs de morale ? Ne valait-il pas mieux venir me rejoindre ? Allons ! tu n’as pas le sens commun. Te voilà maintenant, tu vas venir avec nous, et tu verras que la vie est plus heureuse en notre compagnie qu’avec celle de ces chiens à visage de carême.

« – À mon avis, cependant, répliqua Wilkins, mes amis de là-bas sont plus honnêtes que toi, et surtout plus convenables, car ils sont vêtus et vous ne l’êtes pas.

« – Bah ! le costume ne fait rien à l’affaire, répondit Black Peter. Si je suis tout nu, c’est pour ne pas déplaire à ces moricauds. Il faut hurler avec les loups, vois-tu. Allons viens nous nous dirigeons vers le sud pour nous procurer des munitions, des liqueurs et de l’argent. Nous achèterons alors des vêtements, et quand nous n’aurons plus besoin de ces imbéciles de noirs, nous les lâcherons afin de jouir du bien que nous aurons acquis. Tout cela sera très amusant, te dis-je. Dis-moi, les compagnons que tu as quittés ont-ils de l’argent ? J’aurais désiré me procurer le fusil que je leur avais laissé, et surtout de la poudre et des balles, car il ne m’en reste plus. J’ai tout brûlé pour faire peur à ces nègres maudits, qui ne comprenaient rien à mes paroles, mais à qui la peur fait faire tout ce que l’on veut. »

« Wilkins murmura alors quelques paroles à voix basse en s’adressant à Black Peter, et je ne pus rien entendre ; mais je ne crois pas qu’il ait dit un mot de vrai ; car Peter continua à dire qu’il allait se mettre à notre poursuite, persuadé qu’avec la pluie nous ne pouvions pas lui échapper. Il exhorta encore Wilkins à se joindre à lui, se disant prêt à avoir grand soin de lui et à le conduire dans un endroit sûr « une vraie bonbonnière, » fit-il.