Page:Revoil Voyage au pays des Kangarous 1885.djvu/14

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
11
AU PAYS DES KANGAROUS

Ruth et Jack déclaraient cependant que jamais leur mère ne leur avait laissé rien dérober sur la route, ou prononcer une parole qui ressemblât à un mensonge. Ils l’avaient bien souvent vue pleurer, lorsque son mari rentrait ivre au logis, blasphémant et proférant mille infamies, ayant les mains pleines d’argent, auquel la mère de ces deux malheureux refusait de toucher.

Enfin, certain soir, le père de Ruth et de Jack ayant été surpris par un accès de fièvre le long de la route qu’il arpentait avec sa femme et ses enfants, en quête d’aumônes, était allé se coucher près d’une meule de foin. Sa femme resta près de lui afin de le soigner, tandis que les enfants allaient mendier sur le chemin ou dans les fermes voisines quelques sous ou un morceau de pain. À son tour, la malheureuse bohémienne était tombée atteinte par le même mal qui terrassait son coupable mari. À ce moment-là, le vagabond avait fait des efforts surhumains pour se traîner vers la route conduisant au village de Wendon. Sa femme l’avait suivi à grand’peine ; mais, vaincus l’un et l’autre par la force de la maladie, ils avaient du s’asseoir sur le bord d’un fossé avant d’atteindre le village où on eut pu leur porter secours.

Une tempête de neige avait couvert d’un linceul le père et la mère de Ruth et de Jack.

Au point du jour, comme je l’ai raconté, on avait trouvé les deux enfants couchés sur les restes mortels de leurs parents.

Les orphelins furent donc recueillis avec la plus grande charité par les bons habitants de Wendon, qui s’empressèrent, les uns de leur offrir des vêtements chauds, les autres de leur apporter de la nourriture. Quelques jours après on les envoya à l’école communale, où l’instituteur prit un soin particulier de leur éducation.

Jack, l’aîné des deux, qui avait près de onze ans lors de la fin épouvantable de ses parents, se montra intelligent et très désireux d’acquérir du savoir. Trois ans lui suffirent pour qu’il devînt un excellent écolier digne d’être cité dans le pays, et trois ans après, sous la direction d’un menuisier, il devenait un des premiers ouvriers de sa profession.

Ruth était de deux ans plus jeune que son frère ; elle était, il faut l’avouer, moins intelligente que lui on la trouvait même rude et dépourvue du moindre instinct des soins indispensables dans la vie. La dernière dans la classe qu’elle fréquentait, elle reçut un jour l’affront d’être renvoyée, car on la trouvait incapable de jamais rien apprendre.

On la plaça alors en condition chez une vieille fille, qui ne tarda pas à se plaindre d’elle. Donnait-elle à Ruth des tasses à laver, celle-ci était assez maladroite pour les briser ; fallait-il allumer le feu, elle n’y parvenait point. Et cependant c’était une excellente fille, très attachée à son frère, très reconnaissante pour les soins qu’on avait eus d’elle dans la paroisse. Les femmes du village ne lui reprochaient qu’une seule chose, sa maladresse.

Max Mayburn, qui était moins sévère que les matrones de Wendon, résolut de la prendre à son service. Cette résolution remplit de joie le cœur de la jeune fille, et elle chercha, depuis ce moment, toutes les occasions de prouver à son maître et à sa famille la reconnaissance qu’elle ressentait à leur endroit.