Page:Revoil Voyage au pays des Kangarous 1885.djvu/137

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
134
VOYAGE

l’autre rive, on retira la corde, puis à grands coups de haches on coupa le point d’appui du tronc d’arbre, et le pont improvisé roula dans l’abîme, entraîné par le courant. De cette manière, les sauvages se trouvaient dans l’impossibilité de poursuivre les visages blancs.

Le sol sur lequel les voyageurs se trouvaient réunis était bien moins ondulé que celui qu’ils venaient de quitter. De tous côtés on apercevait des massifs de bambous et de joncs ; le long de la rivière se trouvaient des ouvertures au moyen desquelles il était possible d’aller puiser de l’eau, dont les pauvres gens étaient privés depuis vingt-quatre heures.

La petite troupe s’aventura le long d’une sorte de route marécageuse qui longeait la rivière, en se lamentant de ne pas avoir de canots, à l’aide desquels ils eussent pu continuer leur voyage sans trop se fatiguer.

Jack déclara qu’il allait se mettre a l’œuvre, mais que l’important était de se procurer le bois indispensable pour la construction désirée.

Le lendemain, l’arbre en question était trouvé ; on le dépouilla de son écorce, et tous les jeunes gens aidant le brave charpentier, l’un allant chercher de la gomme, l’autre fabriquant une sorte d’étoupe végétale, on put bientôt se trouver en présence de deux canots assez vastes et très confortables.

On attendit une journée pour que les embarcations fussent consolidées et bien sèches, et pendant ce temps-là on façonna des rames et des gaffes, et on récolta de la paille d’avoine pour servir de litière dans les canots. Les « dames » s’occupaient, durant ces heures de repos, à préparer des galettes de farine d’avoine, à faire cuire du poisson pêché dans la rivière, en un mot, à approvisionner les embarcations.

Le lendemain du troisième jour, dès l’aube, les voyageurs s’embarquèrent, ravis d’échapper ainsi, grâce à ces transports faciles, aux fatigues d’une étape à pied à travers des obstacles multiples. La manœuvre des rames était comparativement chose aisée et peu pénible.

La pérégrination dura ainsi pendant plusieurs jours. On apercevait bien de temps à autre de la fumée provenant des feux allumés par les sauvages ; on entendait maintes fois les coo-ee de ces ennemis invisibles, qui faisaient toujours craindre aux voyageurs d’être épiés ; mais leurs moyens de locomotion défiaient toute poursuite.

On s’arrêtait une fois par jour sur le rivage pour se mettre à la pêche, et Baldabella, d’une adresse sans pareille au maniement du harpon, se chargeait de fournir aux exigences du déjeuner et du souper. Le poisson pris ordinairement de cette façon était la morue d’eau douce, mais d’une très grande espèce.

Chaque matin, après le premier repas, les voyageurs exploraient le pays afin d’y trouver un endroit favorable pour s’y retirer à la saison des pluies ; hélas ! leurs recherches étaient inutiles.

Il y avait pourtant toujours de hautes montagnes du côté opposé à celui où marchaient les naufragés ; mais, sur la rive en question, le pays était bas et marécageux, et s’étendait aussi loin que la vue pouvait se porter.