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VOYAGE

naît à l’entrée de la passe désignée par Hugues et O’Brien. Ce talus naturel était formé de pierres plates, brisées à de certains endroits, et remplacées par un ravin d’un mètre de large qu’il s’agissait de franchir. Mais le long des broussailles il y avait de nombreuses lianes qui aidaient les voyageurs. Néanmoins on s’avançait avec les plus grandes précautions ; car, sur le côté gauche de ce talus, il y avait le lit d’un torrent qui se trouvait à ce moment presque à sec, mais qui, lors des pluies, devait être rempli jusqu’au bord et entraîner des troncs d’arbres, dont quelques-uns étaient encore couchés au fond et formaient des cataractes lilliputiennes.

Dans les interstices des pierres, de grands arbres avaient pris racine : on voyait sur la route des gommiers au vert feuillage, des casuarinas élégantes, et un arbuste vivace dans le genre du buis arborescent. Des volées de perroquets et de kakatoès voltigeaient au milieu des arbres, et l’on voyait s’ébattre dans les buissons des centaines d’opossums que l’on eût pris pour des singes.

Max Mayburn, qui examinait avec grand intérêt tous ces spécimens de la nature australienne, faillit, à deux reprises différentes, tomber dans le lit du torrent. Il fallut qu’Arthur le saisît par le bras pour l’empêcher de choir.

« Savez-vous ce qu’il faut faire, Arthur ? dit alors Gérald à son ami ; nous allons marcher deux par deux, comme les voyageurs des Alpes, de telle façon que, si l’un fait un faux pas, l’autre pourra le retenir.

— C’est là un plan fort sage, mon cher O’Brien. Les plus prudents, les plus forts d’entre nous, vont prendre soin des faibles et des timides de notre troupe. Moi, je donnerai le bras à mon père ; Jack accompagnera sa sœur ; Hugues sera le compagnon de Marguerite, et Wilkins celui de Jenny Wilson. Quant à toi, je te réserve à la protection de Baldabella, qui vous surveillera toi et son enfant. »

Arthur plaisantait ; car il n’avait pas la moindre crainte au sujet de la sauvagesse, qui paraissait marcher aussi facilement qu’elle eut pu le faire dans une route macadamisée.

L’aîné des Mayburn, qui marchait en tête de la caravane, commença bientôt à éprouver quelques inquiétudes en regardant devant lui il lui sembla que le désert s’étendait à perte de vue. On eût dit un labyrinthe formé de rocs pointus, plats, bizarres, informes, situés aux confins du monde. Cette vue était terrifiante, et Arthur, quel que fût son courage, ne put cacher un sentiment d’appréhension.

Il fut tiré de ses tristes pensées par un cri strident poussé par Ruth qui avait laissé tomber sa cage à poules au fond du ravin, à deux cents pieds en dessous du sentier suivi par les voyageurs. La cage s’était ouverte ; les oiseaux s’étaient frayé un passage hors de leur prison d’osier, et, après s’être reconnus, picoraient les grains épars sur le sol. Le coq, un très joli bantam, après avoir secoué ses ailes, chantait de sa voix rauque un hymne à la liberté.

« Voilà les poules prêtes à coloniser : il est inutile de s’ingénier à les rattraper maintenant. Les bêtes domestiques vont devenir sauvages, et dans quelques années les voyageurs qui passeront dans ces parages découvriront