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AU PAYS DES KANGAROUS

Il fut convenu que l’on remonterait le cours de la rivière aussi longtemps que cela serait possible : car, après tout, c’était un travail moins rude que celui de marcher avec des fardeaux.

On navigua de conserve, sans autre alarme que celle causée par les feux des noirs, allumés sur la rive que l’on avait quittée. Le paysage était admirable, et quand le soleil déclina à l’horizon, les voyageurs abordèrent dans un endroit favorable pour y passer la nuit.

Le lendemain, au point du jour, le voyage continua ; et, à part les temps d’arrêt nécessaires pour la recherche de vivres ou les heures de repos, l’on avança ainsi pendant une semaine sur le grand fleuve. La fumée des feux des sauvages se montrait bien à divers endroits, mais on n’apercevait nulle part des indigènes.

Un jour cependant la quiétude des voyageurs fut troublée, car on entendit des cris poussés par des sauvages en fureur, ce qui leur fit croire que les indigènes se battaient entre eux. On se hâta donc d’atterrir dans un endroit qui partit très convenable pour se défendre en cas d’attaque.

Les hurlements devinrent de plus en plus féroces ; mais enfin le calme revint peu à peu : la bataille, quelle qu’elle eût été, était donc terminée.

Arthur, Gérald et Wilkins voulurent alors se rendre compte par eux-mêmes des résultats de ce combat. Ils laissèrent leurs compagnons sous la protection de Jack et se dirigèrent, à travers la jungle, vers où il leur semblait que la querelle avait eu lieu. En effet, au milieu d’un espace ouvert dans une forêt d’arbres rabougris, ils aperçurent devant eux une grande quantité d’armes éparses deci delà, et des cadavres percés de part en part, saignants et ne donnant plus signe de vie.

C’était un hideux spectacle. Les explorateurs se disposaient à partir, lorsqu’à leurs oreilles parvinrent des soupirs violents, des cris de désespoir poussés dans le voisinage de l’endroit où ils se trouvaient. Ils cherchèrent dans les buissons et se trouvèrent en présence d’une femme indigène qui versait d’abondantes larmes sur le corps d’un homme blessé. La malheureuse tenait dans ses bras un petit enfant âgé de quatre ans à peine.

En les voyant approcher, la femme voulut fuir ; mais Wilkins la prit par le bras, et, lui montrant le cadavre, lui parla dans un langage bizarre qu’il avait appris pendant son séjour en Australie.

La négresse répondit à Wilkins avec une voix douce et par des paroles vraiment harmonieuses.

« C’est la jiu du mort, autrement dit sa femme, dit enfin Wilkins après avoir écouté le discours de la veuve, et celui qu’elle pleure a péri de la main de Black Peter. »

La négresse avait poussé un cri de terreur en entendant ce nom abhorré, qu’elle répéta d’une voix caverneuse, en serrant son enfant sur son cœur.

« La malheureuse connaît ce coquin-là s’écria Wilkins, Voyez ! elle désigne la blessure faite au mort et prononce le nom de Peter. En effet, ajouta-t-il en examinant la blessure, ceci n’est point l’œuvre d’une flèche, mais bien d’un coutelas, celui de ce mauvais scélérat. »

La femme avait compris que les « visages blancs » avaient pitié de son sort, et, confiant à Arthur l’enfant qu’elle portait dans ses bras, elle apprit