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VOYAGE

avec laquelle vous savez, du reste, que je sympathise. Tel est le conseil que vous donne un pauvre soldat qui n’a pour lui que sa vieille expérience de la vie terrestre.

— Hélas ! je voudrais faire ce que vous me conseillez ; mais je n’en ai pas la force.

— Vous vous trompez, voisin ; je connais mieux que vous votre énergie. Lorsque vous le voulez, rien ne vous est difficile ; le froid, le vent, la pluie, vous ne craignez rien. Ne vous ai-je pas vu, certain mois de mars, par un temps affreux, vous jeter dans un marécage pour… ?

— Pour dénicher les œufs d’un grèbe cornu, que je voulais faire couver afin d’obtenir des petits destinés à orner le jardin de mon cottage.

— Allons ! mon ami, puisque dans un but aussi futile que celui-là vous avez risqué d’attraper une bonne fluxion de poitrine, vous pouvez bien réagir sur vous-même. Jetez-vous dans l’action ; reprenez les travaux de votre ferme ; ne négligez plus vos enfants. Pensez à eux ; c’est la meilleure manière, vous ne le nierez pas, d’être fidèle au souvenir de celle qui n’est plus. Quand j’étais capitaine, je m’occupais tous les jours de mes soldats, et je ne me sentais jamais plus satisfait que quand je savais que ma compagnie se portait à merveille. Si mistress Mayburn était votre bon ange, elle vous a laissé sa fille Marguerite, qui s’efforcera de la remplacer. Allez la retrouver, cher ami, et vous vous apercevrez bientôt que la vie ne doit plus vous être odieuse.

— Cela peut être, répondit Max Mayburn mais je ne trouverai pas l’oubli de mes chagrins en ce pays. Je songe à m’éloigner de l’Angleterre et à me rendre dans un pays distant, afin de coloniser et me livrer à mes goûts pour l’étude de l’histoire naturelle. Je choisirais volontiers les grandes Indes ou les provinces du sud de l’Australie.

— Faites cela, si vous le jugez à propos ; mais, croyez-moi, attendez un ou deux mois pour prendre cette résolution il ne faut pas se hâter en pareille occurrence. D’ailleurs, je sens que je vais bientôt quitter la terre, et je voudrais que ce fût vous qui me rendissiez les derniers devoirs. Oh ! ne soyez pas ému à ces paroles, mon cher Mayburn. Je sais que mes jours sont comptés ; mes blessures se sont rouvertes, et c’est un mauvais signe, comme me l’a dit hier le docteur. Quand je ne serai plus, veuillez prendre avec vous mon fils, un bon cœur, je vous assure, quoique un peu turbulent. Marguerite voudra bien se charger de son éducation. Je me confie à Dieu pour qu’il suggère à mon enfant la volonté de suivre une carrière honorable. Je ne lui laisse pas de fortune, vous le savez, car ma pension de retraite était ma seule ressource ; aussi mon fils sera-t-il forcé de travailler pour se tirer d’affaire. Le Ciel l’aidera, et vous le guiderez. Au revoir, mon ami ; vous le voyez, vous allez avoir plus à faire encore en ce monde que vous ne l’aviez prévu. »

Max Mayburn se retira tout pensif ; les paroles de son ami mourant produisirent un excellent effet sur lui, et il éprouva un véritable remords d’avoir été si faible.

Cette énergie factice ne dura malheureusement pas longtemps. Le capitaine O’Brien mourut, et quand cet ami ne fut plus là pour réconforter Mayburn, celui-ci retomba dans sa torpeur intellectuelle.