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Messieurs ; mais maintenant, c’est à vous que je dis
Que, si sur ce papier vos noms ne sont écrits,
Vous ne passerez pas.

LAVATER.

Vous ne passerez pas.Mais, mon bon invalide…

TRUMAN.

L’invalide, messieurs, à son poste est solide.

GOËTHE.

Où donc madame Huner a-t-elle passé ?

TRUMAN.

Où donc madame Huner a-t-elle passé ?Mais
Dans son lit, bien malade ; et c’est moi, désormais,
Moi, son cousin, qui dois la remplacer. J’ai l’ordre
De demander vos noms.

GOËTHE.

De demander vos noms.Vieux dogue prêt à mordre,
Ouvre-nous le passage,

Montrant Lavater.

Ouvre-nous le passage,Et laisse entrer Platon.

TRUMAN.

Platon ! sur ce papier je ne vois pas ce nom.

LAVATER, montrant Goëthe.

Et Méphistophélès.

TRUMAN.

Et Méphistophélès.Métipo…

GOËTHE.

Et Méphistophélès. Métipo…L’imbécile !

TRUMAN.

Mais quel diable de nom !

GOËTHE.

Mais quel diable de nom !Tiens, lis en autre style :
Lavater, le voilà ; Goëthe, c’est moi.

TRUMAN.

Lavater, le voilà ; Goëthe, c’est moi.C’est bon ;
Il fallait vous nommer d’abord par votre nom :
Et maintenant, je suis tout à votre service ;
Qu’ordonnez-vous ?

GOËTHE.

Qu’ordonnez-vous ?Va dire au maître de l’office
Qu’il lui faudra, ce soir, surpasser ses talens :
Des vins exquis ! des fruits et des mets succulens !
Et les plus belles fleurs pour ces charmantes filles
Qui viennent parmi nous comme dans leurs familles,
Nous charmer par leurs voix, nous prodiguer leurs dons ;
Dons du ciel ou d’enfer, par qui nous nous perdons.
Doux écueil, Lavater !…

LAVATER.

Doux écueil, Lavater !…Où périt la jeunesse.

GOËTHE.

Et tant mieux ! si l’oubli peut venir dans l’ivresse !

À Truman.

Et toi, prends cette clef ; c’est celle du jardin ;
Cours en ouvrir la porte ; allons, mon vieux, afin
Que, lorsque du souper l’heure sera venue,
la beauté puisse entrer ici par cette issue.

TRUMAN.

Je vous comprends, messieurs, on vous en fournira !
Cette clef, je l’empoche, et bien fin qui l’aura !

Il sort.





Scène VII.


GOËTHE, LAVATER.


LAVATER.

Ta gaîté me fait mal, cher Goëthe ; en conscience,
C’est un masque d’emprunt.

GOËTHE.

C’est un masque d’emprunt.Au diable ta science !
Qui de tous tes amis viendra te dépouiller !
Dans les replis du cœur pourquoi veux-tu fouiller ?
C’est un don malheureux que ta seconde vue ;
L’homme n’a plus pour toi de pensée imprévue ;
Si son cœur saigne et cache un sentiment cruel,
Sur sa plaie aussitôt tu passes ton scalpel.
Tu découvres en nous, par tes fatals systèmes,
Les mystères d’un mal ignoré de nous-mêmes.

LAVATER.

Peux-tu les ignorer, toi qui les peins si bien,
Ces mystères d’un cœur qui ne croit plus à rien ?
Toi, qui contre l’amour, la gloire et le génie,
De Méphistophélès as jeté l’ironie ?
Tu souffres et toujours poursuis dans le plaisir
Une ombre de bonheur que tu ne peux saisir.

GOËTHE.

Et si tu disais vrai ? si, d’un mal qui torture,
Au sein des voluptés je traînais la blessure ?
Si j’étais malheureux !… Oh ! tu me raillerais
Comme Schlegel !

LAVATER.

Comme Schlegel !Moi ! non, sur toi je veillerais ;
Car je suis ton ami sincère, et tu l’oublies ;
C’est pour toi que j’assiste à vos nuits de folies ;
Pour toi, génie élu, barde prédestiné,
Trop grand pour le souiller !… car je t’ai deviné.
Tu regrettes le ciel en t’approchant du gouffre,
Et je veux te sauver.

GOËTHE.

Et je veux te sauver.Est-il vrai que je souffre ?
N’est-ce pas une erreur qu’on pourrait oublier ?

LAVATER.

Le souvenir qu’on cherche à fuir nous fait plier.

GOËTHE.

Oui, quand nous sommes seuls peut-être ; mais ensemble
La douleur doit céder au plaisir qui rassemble.
Enivrons-nous ici de ces parfums divins
Que répandent les fleurs, les femmes et les vins !
Oublions ; et vers nous, qu’elles viennent, ces femmes,
Dont la beauté supplée au vide de leurs âmes !
À nous leurs premiers chants et leurs premiers succès:
D’un public ignorant préparons-leur l’accès !
Ami, faisons des vers pour ces enchanteresses ;