Page:Revoil - La Jeunesse de Goethe.pdf/13

Cette page n’a pas encore été corrigée

SCHLEGEL.

Oui, pardieu !… quand l’amour vient de nous échapper,
Prenons notre revanche avec la bonne chère !

GOËTHE, à Truman avec vivacité.

N’as-tu pas vu sortir cette jeune étrangère ?

TRUMAN.

Oui, qui se nommait Rose ?

GOËTHE.

Oui, qui se nommait Rose ?Et que t’a-t-elle dit ?

TRUMAN.

Qu’elle ne reviendra jamais, (souriant) je l’ai prédit.

SCHLEGEL.

À souper ! à souper !

TRUMAN, à Goëthe.

À souper ! à souper !Vous manquez de prudence ;
L’oiseau qu’on effarouche aime l’indépendance.

Il sort.





Scène XVI.


Les Précédens, excepté TRUMAN.


Pendant cette tirade de Goëthe, Truman entre suivi de plusieurs domestiques et sert le souper.


GOËTHE.

Quoi ! ce ne sera là qu’un rêve ! quoi ! le sort
Implacable et moqueur me la dispute encor !
Quoi ! pas même ses traits ! quoi ! pas même son ombre !
Pas même cette erreur dans mon cœur vide et sombre !
Quoi ! tous mes mauvais jours n’étaient pas révolus !
Après tant de douleurs une douleur de plus !…
Eh bien ! foulons aux pieds cette dernière épreuve !
Raillons le désespoir, alors qu’il nous abreuve !
Soyons gai, soyons fou ! poète, triomphons !
Qui saura nos douleurs si nous les étouffons ?

LAVATER.

Moi, qui lis dans ton ame et vois ce qu’elle endure.
Ton cœur saigne et tu ris !… pourquoi cette torture ?

GOËTHE.

Mais, assez ! mon censeur !…… verse, cela vaut mieux.

Ils se mettent à table. Goëthe tend son verre.
SCHLEGEL.

Goëthe est à ma hauteur ! vivat !

Donnant une coupe à Truman.

Goëthe est à ma hauteur ! vivat !Tiens, bois, mon vieux.

TRUMAN.

Ma foi ! je puis bien boire à présent.

À part.

Ma foi ! je puis bien boire à présent.Il m’invite
Sans savoir que je suis père de Marguerite !

GOËTHE.

Je t’offrirais à boire aussi si tu disais
Où tu restais hier, et ce que tu faisais ?

TRUMAN.

Où j’étais ?… mais…

SCHLEGEL.

Où j’étais ?… mais…Voyons, mon drôle, à pareille heure,
Hier on ne t’avait pas vu dans cette demeure.

LAVATER.

C’est la première fois que nous t’apercevons.

TRUMAN.

Ah ! c’est que je ne suis…

GOËTHE, lui versant à boire.

Ah ! c’est que je ne suisEncore un coup, buvons !

SCHLEGEL.

Cela te délira la langue ; allons, mon brave !

LAVATER.

Il pourra maintenant vous parler sans entrave :
Le pauvre homme chancelle !

GOËTHE.

Le pauvre homme chancelle.As-tu servi ? voyons ?

TRUMAN.

Oui, très-long-temps, messieurs, dans bien des bataillons.
Sous l’illustre Walstein, ensuite chez mon maître.

SCHLEGEL.

Quel est ton maître ?

TRUMAN.

Quel est ton maître.Hélas ! mon maître a cessé d’être !
Mais c’était un brave homme ! il avait, sur ma foi !
Le meilleur vin du Rhin !… une cave de roi !

GOËTHE.

Comment se nommait-il ?

TRUMAN.

Comment se nommait-il.Je ne dois pas le dire ;
Mais, il était, messieurs, baron du Saint-Empire,
El cependant pas fier, affable, affectueux ;
Souvent quand nous allions à la chasse tous deux,
À Willeim…

GOËTHE, à part, avec trouble.

À Willeim…À Willeim !… c’est là qu’était Charlotte !

TRUMAN, continuant.

S’appuyant sur mon bras pour monter une côte,
Il me disait : Truman…

GOËTHE, de même.

Il me disait : Truman…Truman ! mais c’est le nom
D’un serviteur malade alors dans sa maison,
Dont elle m’a parlé souvent !

SCHLEGEL, à Lavater.

Dont elle m’a parlé souvent.Vois comme Goëthe
A changé de visage, et quelle oreille il prête
À ce que dit cet homme !… Or, tu sais bien cela,
Sa Charlotte habitait à Willeim ; le voilà
À la piste à présent de sa belle héroïne !

TRUMAN, continuant.

Messieurs, mon maître éiait d’une haute origine.

GOËTHE, avec trouble.

Il avait une fille ?

TRUMAN, avec hésitation.

Il avait une fille.Ah ! c’est bien possible… oui.

GOËTHE.

Elle était mariée ?

TRUMAN.

Elle était mariée.Elle est mieux aujourd’hui,
Elle est veuve.

GOËTHE, avec surprise.

Elle est veuve ! est-il vrai ?

TRUMAN.

Elle est veuve ! est-il vrai.Je vous jure