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GOËTHE, jouant Faust.

Oh ! qui me l’a ravi ce cœur ?…Tu l’as toujours.

Il la presse sur son cœur.

SCHLEGEL, se levant.

Mais c’est jouer, ma foi, d’une manière neuve !
Elle a du naturel.

CHARLOTTE, à part.

Elle a du naturel.Oh ! mon Dieu, cruelle épreuve !

GOËTHE, à part.

Le trouble de mon cœur avait saisi le sien,
Elle semblait émue !…

MARGUERITE.

Elle semblait émueN’est-ce pas que c’est bien ?

LAVATER.

Elle joue à ravir.

SCHLEGEL, se levant.

Elle joue à ravir.Elle est vraiment artiste !

GOËTHE, à Charlotte.

Mon enfant, parlez-moi ; vous avez l’air bien triste.

CHARLOTTE, avec timidité.

C’est que je suis, monsieur, une fille des champs :
J’ai peur du monde, on dit qu’il est plein de méchans.

GOËTHE.

Mais on y trouve aussi des amis ; vous, si belle,
Vous devez le savoir.

CHARLOTTE, à part.

Vous devez le savoir.Oh ! sa voix me rappelle
Son accent d’autrefois !

GOËTHE.

Son accent d’autrefois !Ne vous a-t-on jamais
Parlé d’amour ?

CHARLOTTE.

Parlé d’amour ?Jamais.

GOËTHE.

Parlé d’amour ? Jamais.Si, moi, je vous aimais.
Si je vous le disais ?

CHARLOTTE.

Si je vous le disais ?Je ne pourrais vous croire ;
L’amour des grands pour nous est un jeu dérisoire ;
Ce n’est qu’un passe-temps.

GOËTHE.

Ce n’est qu’un passe-temps.Oh ! vous me jugez mal.

À part.

La candeur est empreinte à son front virginal !
Qu’elle est belle, ô mon Dieu ! que ne peut-elle lire
Dans ce cœur où sa vue a jeté le délire !
Oui, je l’aime, je sens, car elle m’a rendu
L’image d’un passé que je croyais perdu !

SCHLEGEL, à Lavater.

Comme Goëthe est érnu ! l’on voit que son cœur flotte ;
On dirait que Werther va retrouver Charlotte !

CHARLOTTE, à part, avec effroi.

Charlotte !… que dit-il ?… me reconnaîtrait-on ?…
Non, tout m’effraye, un mot, un geste, un faible son !





Scène XII.


Les Mêmes, TRUMAN.


TRUMAN, arrivant d’un air affairé.

J’ai commandé, messieurs, à vos ordres fidèle.
Un souper qui sera des soupers le modèle ;
Le chef de la cuisine est dans son coup de feu ;
Il larde les faisans, met le saumon au bleu,
Nourrit d’un jus exquis la choucroûte qu’il beurre ;
Et vous serez servis dans une petite heure.

SCHLEGEL.

Une heure ! mais ce temps perdu pour le plaisir.
C’est tout un siècle enfui qu’on ne peut ressaisir !
Et, si vous m’en croyez, gentille Marguerite,
Nous nous rendrons au bal.

MARGUERITE.

Nous nous rendrons au bal.Mais, oui !

SCHLEGEL.

Nous nous rendrons au bal. Mais, oui !Je vous invite
Pour la première valse ; ici nous reviendrons
Avec tous nos amis.

MARGUERITE.

Avec tous nos amis.C’est bien pensé, partons.

TRUMAN.

L’effrontée ! elle irait avec ces bons apôtres !
Je la suivrai de près.

SCHLEGEL, à Goëthe.

Je la suivrai de près.Werther est-il des nôtres ?

GOËTHE.

Non, je demeure auprès de Charlotte.

CHARLOTTE, avec inquiétude.

Non, je demeure auprès de Charlotte.Comment !

GOËTHE.

Je dis que, si j’obtiens votre consentement,
Je ne sortirai pas… à moins que cette fête
N’ait pour vous quelque attrait ?

CHARLOTTE.

N’ait pour vous quelque attrait ?Moi, j’aime la retraite,
Je ne vais pas au bal.

SCHLEGEL.

Je ne vais pas au bal.Entends-tu, Lavater ?
Ils sont d’accord tous deux. Allons, suis-nous, mon cher.

LAVATER.

Qui ? moi, te suivre au bal !

SCHLEGEL, le prenant par U bras.

Qui ? moi, te suivre au bal !Ce sera magnanime ;
Il ne faut pas troubler ce tête-à-tête intime.

Il sort en entraînant Lavater et en donnant le bras à Marguerite.





Scène XIII.


GOETHE, CHARLOTTE.


GOËTHE, à lui-même.

Nous sommes seuls enfin ; je puis l’interroger.

S’approchant de Charlotte.

Comme on parle à l’ami qui veut nous protéger,
Dites-moi si l’amour a fait faillir votre ame ?