Tu l’as toujours.
Il la presse sur son cœur.
Mais c’est jouer, ma foi, d’une manière neuve !
Elle a du naturel.
Oh ! mon Dieu, cruelle épreuve !
Le trouble de mon cœur avait saisi le sien,
Elle semblait émue !…
N’est-ce pas que c’est bien ?
Elle joue à ravir.
Elle est vraiment artiste !
Mon enfant, parlez-moi ; vous avez l’air bien triste.
C’est que je suis, monsieur, une fille des champs :
J’ai peur du monde, on dit qu’il est plein de méchans.
Mais on y trouve aussi des amis ; vous, si belle,
Vous devez le savoir.
Son accent d’autrefois !
Parlé d’amour ?
Jamais.
Si je vous le disais ?
L’amour des grands pour nous est un jeu dérisoire ;
Ce n’est qu’un passe-temps.
Oh ! vous me jugez mal.
À part.
La candeur est empreinte à son front virginal !
Qu’elle est belle, ô mon Dieu ! que ne peut-elle lire
Dans ce cœur où sa vue a jeté le délire !
Oui, je l’aime, je sens, car elle m’a rendu
L’image d’un passé que je croyais perdu !
Comme Goëthe est érnu ! l’on voit que son cœur flotte ;
On dirait que Werther va retrouver Charlotte !
Charlotte !… que dit-il ?… me reconnaîtrait-on ?…
Non, tout m’effraye, un mot, un geste, un faible son !
Scène XII.
J’ai commandé, messieurs, à vos ordres fidèle.
Un souper qui sera des soupers le modèle ;
Le chef de la cuisine est dans son coup de feu ;
Il larde les faisans, met le saumon au bleu,
Nourrit d’un jus exquis la choucroûte qu’il beurre ;
Et vous serez servis dans une petite heure.
Une heure ! mais ce temps perdu pour le plaisir.
C’est tout un siècle enfui qu’on ne peut ressaisir !
Et, si vous m’en croyez, gentille Marguerite,
Nous nous rendrons au bal.
Mais, oui !
Pour la première valse ; ici nous reviendrons
Avec tous nos amis.
C’est bien pensé, partons.
L’effrontée ! elle irait avec ces bons apôtres !
Je la suivrai de près.
Werther est-il des nôtres ?
Non, je demeure auprès de Charlotte.
Comment !
Je dis que, si j’obtiens votre consentement,
Je ne sortirai pas… à moins que cette fête
N’ait pour vous quelque attrait ?
Je ne vais pas au bal.
Ils sont d’accord tous deux. Allons, suis-nous, mon cher.
Qui ? moi, te suivre au bal !
Il ne faut pas troubler ce tête-à-tête intime.
Il sort en entraînant Lavater et en donnant le bras à Marguerite.
Scène XIII.
Nous sommes seuls enfin ; je puis l’interroger.
S’approchant de Charlotte.
Comme on parle à l’ami qui veut nous protéger,
Dites-moi si l’amour a fait faillir votre ame ?