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et puis je pêcherai à la ligne. Tous les soirs, je veux aller voix traire les vaches chez la Lisa ; je connais déjà la bergerie, j’ai vu tèter les petits moutons, ils faisaient comme ça.

Et Suzie simule la bouche gourmande, les coups de tête que l’agneau envoie dans le ventre de la brebis.

— Toi, tu n’oses pas aller voir les cochons, quand on leur donne des pommes de terre, ils grognent, j’en tremblais derrière le tablier de Lisette. Tu sais, tu n’aurais pas fait la fière, les cochons mangent les petits enfants.

— Ils ne t’ont pas mangé la langue, quelle « tratrelle » !

— Je suis contente, na, je suis bien, toute seule près de toi ! Et puis les bois me donnent envie de rire, de chanter… Je suis un peu en ribote, fit l’étourdie, j’ai trop respiré ces fleurs. Ça ne te fait donc rien, ma grande, d’être lâchée dans la forêt ? tu es si raisonnable !

— Mais si, cela me trouble délicieusement comme toi, ma chérie, mais j’ai envie de me taire, de ne plus bouger, de devenir tout à coup un brin de muguet, ou une ronce, ou bien une feuille : les arbres sont heureux, eux aussi, mais ils ne parlent pas.

— Et l’oiseau ? est-ce qu’il n’est pas le gosier de la forêt ? Moi, je suis ton petit oiseau, je parle pour ma sœur l’arbre et mon frère le muguet.

Les deux jeunes filles restent un instant à se regarder. Aline vient d’avoir vingt et un ans et Suzie en a douze à peine, il n’y a pourtant pas entre elles une grande différence de taille. L’aînée porte à peine la tête de plus que sa cadette ; son jeune corps souple,