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tant Espagnols que des Pays-Bas ; ils passèrent au pont d’Aire pour se rendre à Marcoing où ils gîtèrent. Là son excellence fit faire au duc de Rhetelois un grand, très beau et très magnifique banquet.

Le lendemain mardi, ils allèrent coucher à Péronne, toujours conduits par la cavalerie espagnole jusques assez près des frontières de France.

A Péronne, on fit un grand accueil au jeune duc et au seigneur de Vicq, mais on ne fit pas plus attention à Balagny qu’au plus simple soldat ; il n’eut pour se loger avec son train que deux chambres à l’hôtellerie du chef. Toutes ses armes et ses gros bagages furent jetés sur le marché ; cela lui devait bien tourner à dépit et vergogue, vu que 6 ou 8 jours avant on l’honorait comme un roi, et qu’à ce moment il était réduit à moins d’estime et de réputation que le plus abject du pays.

J’ai laissé dire que durant ledit siège il s’est tiré 16,000 coups de canon de la part des assiégeans, et 8,000 de la ville.

Voilà, amis Cambresiens, ce qui s’est passé au siège de Cambrai en ma présence.

Nota. Je ne veux point omettre les grandes adversités dudit Balagny. Outre le déshonneur d’avoir perdu le titre de prince de Cambrai qu’il avait usurpé avec les plus grands de la ville (dont les noms ne sont pas ici, mais pour cause) ; toutefois cette qualification de Monseigneur le prince, était plus entendu dans les rues que le saint nom de Dieu. Outre, dis-je, la honte de quitter la place de Cambrai, voici un autre mal, car pensant être consolé par la princesse sa femme, lui-même avait besoin d’être consolé, car-on disait que ladite princesse était morte à demi enragée[1],

  1. Il y a tant de versions sur la mort de Mad. de Balagny, qu’il est assez difficilede lui assigner une cause positive. Nous citerons quelques auteurs qui en ont parlé.

    — La dame de Balagny, au désespoir de perdre sa principauté, et accablée de honte de voir que c’était par sa faute et par sa négligence que l’on avait été forcé de rendre la citadelle, s’abandonnant au chagrin et à la douleur, refusa de prendre aucun remède, ni même aucun aliment, sortit misérablement de celle vie le 8 octobre 1595, avant que l’heure de partir de Cambrai fut arrivé.

    (Manuscrit 883 de la Bib. de Cambrai.)

    — Montluc de Balagny avait épousé Rénée de Clermont d’Amboise, femme au-dessus de son sexe. Cette héroïne, après avoir défendu la ville de Cambrai, en 1595, comme l’aurait pu faire le capitaine le plus brave et le plus expérimenté, mourut de douleur avant la fin de la capitulation, qu’on était sur le point de signer.

    (Nouveau Dict. hist. tome 4.)

    — Les Espagnols reprennent Cambrai et en chassent Balagny, qui parut assez insensible à la perte de sa principauté ; le déplaisir qu’en eut sa femme, sœur du brave Bussi, lui coûta la vie.

    (Hist. de France du président Hénault.)

    — Vous avez vu ces jours passés Mad. de Balagny, vraie sœur de Bassy. Quand Cambrai fut assiégé, elle fit tout ce qu’elle put d’un cœur brave et généreux pour en défendre la prise. Mais après s’être envain évertuée par tant de sortes de défenses qu’elle put, voyant que c’était fait et que la ville était à l’ennemi et en sa puissance, et la citadelle s’en allait de même, ne pouvant supporter ce grand crèvecœur de déloger de sa principauté, elle creva de dépit et de tristesse dans sa place d’honneur.

    Aucuns disent qu’elle se donna la mort, ce qu’on trouvait pourtant être plutôt acte payen que chrétien ; tant il y a qu’il la faut louer de sa grande générosité et de la remontrance qu’elle fit à son mari à l’heure de sa mort, quand elle lui dit : Que te reste-t-il Balagny de plus vivre après ta désolée infortune, pour servir de risée et de spectacle au monde qui te montrera au doigt. Sortant d’une si grande gloire où tu t’es vu haut élevé, pour retomber dans une basse fortune où tu t’es préparé, si tu ne fais comme moi. Apprends donc de moi, apprends de ton épouse à bien mourir et à ne survivre point à ton malheur, et à la dérision. C’est un grandcas, ajoute cet écrivain, quand une femme nous apprend à vivre et à mourir.

    (Brantôme, dames galantes, tome 2, p. 391.)

    — Dans les Bigarures du sieur Desaccors Ed. de 1648, on trouve une épitaphe louangeuse de Mad. de Balagny, qui se termine par ces vers :

    Mais cet astre nouveau, ce cœur plein de victoire,
    A mieux aimé mourir que survivre à sa gloire.

    La femme de Balagny soutenant son rang, mourut en héroïne et en souveraine, au moment où elle vit rendre la citadelle, sous les ruines de laquelle Rénée d’Amboise eut désiré que son mari s’ensevelit avec elle.

    (Emile Dibos, précis hist. sur la ville de Cambrai)

    — Rénée d’Amboise ne put supporter la chute de son mari. A peine eut-elle appris la reddition de la citadelle, que, transportée de rage, elle accabla son époux de ses imprécations, et résolut de ne pas survivre à un tel affront, elle voulut se percer d’une épée ; un chanoine qui se trouvait près d’elle l’en empêcha. L’horreur d’être déshonorée l’emporta sur toute autre considération, et le surlendemain elle avait cessé de vivre. Quelques historiens prétendent qu’elle mourut dans un accès de désespoir, d’autres disent qu’elle ne voulut point que l’on arrêtât son sang qui coulait d’une saignée qui lui avait été faite. Telle fut la fin de cette femme que l’on pourrait à juste titre mettre au rang des premières héroïnes, si quelques défauts n’avaient terni la gloire qu’elle s’était acquise. On l’avait vue, pendant le siège, exciter les soldats à la plus vigoureuse résistance, payer elle-même de sa personne et mettre le feu au canon qu’elle dirigeait contre l’ennemi. Les Français emmenèrent son corps lors de leur sortie de la citadelle ; il fut porté sur un char couvert de drap noir.

    (A. F. Hurez, précis hist. sur Balagny, etc.)

    M. Eugène Bouly a intercalé cette dernière version dans une charmante nouvelle intitulée : Fin du règne de Balagny, insérée dans le premier volume de la Revue Cambresienne.