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NOTES.

de lettres d’un mérite fort inégal, j’y avais été moi-même deux ou trois fois. Mais autant j’aime l’esprit, autant j’en hais les apprêts : je n’y étais pas retourné. L’auteur du Paysan perverti me dit avoir beaucoup entendu parler de moi, qu’il était venu me demander quelques anecdotes érotiques de ma vie, en un mot quelques aventures marquantes qui pussent occuper une place avantageuse dans un ouvrage de longue haleine qu’il méditait depuis longtemps, qu’il voulait écrire pour la postérité, et non pour des contemporains dont il était las. Il fallait rire de l’objet d’une telle visite ; il eût été absurde de s’en lâcher ; mais je l’assurai que ma vie avait été d’une stérilité effrayante, et que je le remerciais de son attention. Je le priai de me supposer assez de goût pour sentir que je manquais une occasion précieuse de percer chez nos neveux, de me réserver sa bonne volonté et ses pinceaux pour de meilleurs temps, et de croire que, puisqu’il m’avait jugé un sujet de quelque espérance, je pouvais un jour concourir utilement à son plan en lui communiquant, dans un avenir que j’espérais, des anecdotes dignes de ses couleurs si neuves et de sa touche originale. Mes compliments le charmèrent : il était encore plus enchanté de ses ouvrages. Il n’hésita pas à m’avouer que le Paysan perverti était un livre du premier ordre, qui durerait autant que la langue qu’il avait enhardie à parler de tout, et aussi longtemps que la nature qu’il avait prise au pied-levé. Il se félicita d’avoir été méconnu par un siècle fade et rapetissé ; les calomnies des journalistes et des académiciens, qui n’avaient pas sa mesure, étaient ses premiers titres à l’immortalité.

» Je réponds à tout. « C’est juste ». Je lui fis la révérence : il s’en alla,

» Quoi qu’il en soit, c’est un homme difficile à juger : on se compromettrait en le louant beaucoup, et il est pourtant aisé d’être injuste envers lui. Quelques-unes de ses productions semblent être celles d’un écrivain en délire ; il est inintelligible pour ses lecteurs et pour lui-même. Ailleurs vous le retrouverez original et piquant, avec le cachet d’un esprit qui manque de goût, et qui par cela même en est plus près de ressembler au génie. On a de la peine à se résoudre à le lire quand on a parcouru ses ouvrages au hasard, mais il n’en est presque aucun qu’on n’achève quand on l’a commencé : il y a des pages, souvent si extraordinaires (dans l’acception favorable de ce terme), des passages quelquefois si remarquables qu’il nourrit jusqu’au bout votre espoir qui souvent est déçu. Il traite des sujets presque toujours ignobles, et s’il les traitait supérieurement, ce serait un genre, et sa justification ; mais le reprocha capital dont on ne peut l’absoudre, c’est qu’il est presque