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XIX
SON ŒUVRE ET SA PORTÉE.

menées et mal tenues, de caractères mal expliqués, de métaphysique la plus mauvaise et la plus déplacée, du plus mauvais style et du plus mauvais goût. C’est une suite de tableaux sans ordre et sans liaisons où l’on nous présente tour à tour un mauvais lieu, la prison, la Grève, une école de philosophie, une guinguette, un consistoire, une taverne, une église, le salon d’une femme de la cour et le galetas d’une prostituée. Rien n’est digéré, rien n’est motivé, rien n’est bien écrit et cependant, au milieu de ce chaos, on est tout étonné de retrouver des morceaux qui prouvent de la sensibilité et de l’imagination. »

Grimm est un peu moins difficile. Il parle de la Paysanne. « C’est à la lettre, dit-il, le complément du Paysan : le caractère de tous les personnages y est merveilleusement bien soutenu. Ce sont les peintures les plus vives des séductions du vice et du libertinage mises en contraste avec les mœurs les plus simples, les plus pures, les plus patriarcales et les suites les plus effrayantes d’une vie déréglée, il y a dans ces tableaux une chaleur, une négligence, une vérité de style qui donne de l’intérêt et même une sorte de vraisemblance aux événements les plus extraordinaires et les plus légèrement motivés ; la bonne foi de l’imagination de l’auteur est, si l’on peut s’exprimer ainsi, la magie de son talent et l’illusion en est entraînante pour tous ceux, du moins dont le goût n’est pas très-susceptible ; car le choix de ses sujets, et la bizarrerie de ses expressions doivent les blesser souvent ; aussi les hait-il de toute son âme : Les puristes, dit-il quelque part, sont les ennemis nés de tout bien. Il assure qu’il a composé près de la moitié de cet ouvrage la larme à l’œil et le cœur gonflé ; on peut le croire, il ne nous permet pas d’en douter. « Malheur ! ajoute-t-il, à la manière de Jean-Jacques, malheur à celui que ces lettres n’auraient pas ému, touché, déchiré ; il n’a pas l’âme humaine, c’est une brute… » Une brute ou un puriste, à la bonne heure ! »

Il y a sans doute dans cette appréciation un peu de ce ton de persiflage qui n’abandonnait jamais Grimm. Cependant, comme il n’écrivait pas pour être lu des Parisiens et de Restif en particulier, on peut croire qu’il pense en grande partie ce qu’il dit et ce qu’il dit est ce que disaient à la même époque avec des nuances diverses les Mémoires secrets, la Correspondance