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XVIII
RESTIF ÉCRIVAIN.

Nous avons déjà dit que de la conduite de son héros résulte une accusation fausse, mais qu’on pouvait croire vraie ; elle est suivie de la mort de ses parents, de son emprisonnement, de son repentir. Quand il retourne au village, il y vient incognito, se dérobant comme un misérable aux embrassements de sa famille, et se bornant à écrire à son frère, resté digne et vertueux, ce simple billet que bien des lecteurs alors considérèrent comme un trait de génie et qui préparé, amené dans le roman avec beaucoup d’art, y produit réellement un assez grand effet d’émotion ;


« Avant-hier, j’ai baisé le seuil de ta porte, je me suis prosterné devant la demeure de nos vénérables parents. Je t’ai vu et les sanglots m’ont suffoqué. Ton chien est venu pour me mordre ; il a reculé en hurlant dès qu’il m’a eu senti, comme si j’eusse été une bête féroce : tu l’as sans doute pensé toi-même ; tu as lancé une pierre, elle m’a atteint : c’est la première de mon supplice ;… s’il n’est pas trop doux pour un parricide ! Ta femme t’a appelé ; vous êtes sortis ensemble pour aller aux tombeaux. Je vous devançais. Vous avez prié. Et tu as dit à ta femme : — La rosée est forte, la pierre est trempée, le serein pourrait te faire mal ; allons-nous-en. — La rosée, c’étaient mes larmes ! Adieu. »


Certes, ce roman n’est pas un modèle, mais si, comme le dit M. Paul Lacroix[1], les quarante-deux éditions anglaises ne furent qu’une mystification à laquelle Restif crut toute sa vie, il n’en est pas moins vrai qu’il y en eut sept en français, deux en allemand, que la traduction en anglais de Pauwel fut au moins commencée et que de nombreuses contrefaçons contribuèrent à répandre le livre, en province, en Suisse, en Allemagne. C’est que tout le monde s’accordait à y trouver, à côté d’inutilités et de fautes de goût, des parties d’une véritable inspiration et d’une nouveauté frappante.

La Harpe, dans sa Correspondance, dit : « C’est l’assemblage le plus bizarre et le plus informe d’aventures vulgaires (toujours ce reproche de vulgarité si commode à faire aux peintres de mœurs) mal

  1. Bibliographie et iconographie de tous les ouvrages de Restif de la Bretonne, 1 vol. in-8o, Aug. Fontaine, 1875. Cet ouvrage considérable et plein de renseignements n’avait point encore paru lorsque notre premier volume d’extraits fut imprimé.