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XVII
SON ŒUVRE ET SA PORTÉE.

contre Edmond ; il ne veut pas qu’il fasse autre chose que sa fortune par les voies les moins avouables, et, en le décourageant, afin de l’amener à un mariage scandaleux il lui écrit :


« Inquiet de ce que mon domestique n’a pu te parler ce matin, je me hâte de t’écrire pour te fortifier et te consoler. Sans doute, tu viens de lire ton article dans trois ouvrages périodiques différents. Allons ! de la fermeté ! surtout ne leur réponds rien ou renonce au titre d’auteur : ces gens-là savent manier le sarcasme comme un maître en fait d’armes le fleuret, et tu serais honni, vilipendé à chaque production de ta plume. Si le juste pèche sept fois par jour, le meilleur auteur bronche au moins sept fois par feuille, et la critique n’a jamais tort. Mon cher Edmond, l’on ne t’offrira pas des filles à fortune sur ton mérite transcendant en littérature ; si tu te trouves dans un cercle, on ne s’écriera pas : — Tenez, voilà l’ingénieux auteur, l’agréable auteur ! mais l’on dira d’un bas très-haut : — Voulez-vous voir ce pauvre diable d’auteur si bien équipé dans le Mercure, dans Fréron, tenez, le voilà ! — Effectivement, répondra-t-on, il a les yeux bêtes. Tu entendras cela, et peut-être perdras-tu patience, ce qui redoublera le ridicule. Ne vois personne pendant quelque temps, c’est mon avis.

Adieu mon pauvre Edmond. »


Cette peinture de la Critique, qui n’a jamais tort, décourage en effet le « pauvre Edmond » ; si elle n’a pas découragé Nicolas Edme Restif, c’est qu’il était mieux trempé que son héros et que, comme Goethe peignant Werther, il tirait un roman de la réalité en se gardant bien de suivre cette réalité dans ce qu’elle avait de prosaïque. C’est là ce qui différencie profondément les confessions romanesques des confessions véridiques, Saint-Preux, de Jean-Jacques ; Werther, de Gœthe ; René, de Chateaubriand ; Jacopo Ortiz, d’Ugo Foscolo ; Adolphe, de Benjamin Constant ; Émile, de M. de Girardin, Edmond, de monsieur Nicolas ; le chantre d’Elvire, de M. de Lamartine, etc.

C’est à partir de ce passage que le Paysan perverti rentre dans la catégorie des œuvres d’imagination pure. L’auteur cherche un dénoûment et il le cherche bien noir, bien effrayant. Il ne faut pas oublier qu’il s’agit pour lui de retenir la jeunesse dans les campagnes pour l’arracher aux pernicieuses influences de la ville et des fauteurs de philosophies nouvelles qui y élisent domicile. Il doit donc accumuler les catastrophes.