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XVI
RESTIF ÉCRIVAIN.

dans la cathédrale un saint Christofle qui a pour bâton un chêne de bien cinquante pieds de haut, qui ne lui vient qu’au menton : Oh ! c’est curieux à voir ! Et puis il y a une horloge bien haute, bien haute ; et au cadran il y a une boule qui marque les lunes ; quand il n’y en a point, elle est toute noire et dès qu’elle commence, la boule devient un peu dorée, et puis plus et puis plus, jusqu’à ce qu’elle soit pleine où elle est toute dorée, et puis elle diminue, elle diminue et redevient toute noire ; et puis il y a des promenades plantées d’arbres qui sont comme le tilleul qui est devant notre église ; et puis il y a une rivière, et puis des bateaux, et puis des coches, et puis des trains de bois flottés, et puis des moulins ; je ne saurais te dire tout ce qu’il y a…… Je te dirai que, comme j’écrivais mes deux autres pages, une demoiselle que je prenais d’abord pour MMe Parangon (car, par malheur, cette dame n’est pas ici et je ne le savais pas), cette demoiselle, donc, est venue regarder par dessus mon épaule, et elle s’est mise à rire en disant : Et puis il y a, et puis il y a, et puis son âne qui joue un rôle ! Elle a chuchoté)e ne sais quoi à M. Parangon, qui est venu lire ma lettre, et qui a ri, et qui m’a dit qu’il m’apprendrait à mieux écrire que ça, et moi je n’en serai pas fâché, quoiqu’il m’ait rendu bien honteux ; car je sens bien que j’écris mal, n’ayant jamais écrit de moi-même ; car quand j’écrivais mes versions de latin, M. le curé me dictait et ne me laissait rien faire de mon estoc. Mais je finis bien vite, de peur que la rieuse ne vienne encore regarder, car j’entends M. Parangon qui lui dit : Sa lettre est naïve, mais elle n’est pas si bête. Je suis, mon cher frère, ton très-humble et très-obéissant serviteur et frère


Edmond R**.


J’assure de mes respects nos chers père et mère et je fais bien des compliments à nos frères et sœurs, ainsi qu’à Marie-Jeanne.


Cette naïveté ne se soutient pas longtemps dans les lettres d’Edmond. Il devient bientôt raisonneur, et une fois qu’il a accepté les théories du cordelier Gaudet, il se mêle de tout critiquer, de vouloir tout réformer. Il a lu l’Encyclopédie, il a lu Buffon, il a lu Voltaire et Rousseau, il a lu toutes les élucubrations des rêveurs ; et de tout cela il se forme un ensemble sans cohésion et en déduit une philosophie qui lui est propre et qui n’est qu’un mélange informe d’idées contradictoires que Restif essayera, plus tard, de coordonner dans la Philosophie de monsieur Nicolas, Il finit naturellement par écrire et ses ouvrages n’ont aucun succès. Gaudet le lui annonce. Ce « dangereux ami » est lui-même l’auteur des articles de journaux