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XV
SON ŒUVRE ET SA PORTÉE.

Tel est l’ensemble de la composition. Les détails sont pris, pour les trois premières parties, jusqu’à la scène de violence sur madame Parangon, dans les faits que nous avons déjà racontés de la vie de Restif. C’est alors qu’intervient l’histoire de la sœur enlevée par un marquis ; l’arrivée du paysan à Paris, son duel et sa réconciliation avec le ravisseur dont il convoîte la femme et auquel il laisse sa sœur, son mariage avec une « vieille » qu’on l’accuse d’avoir empoisonnée, sa condamnation aux galères dont il sort pour tuer sa sœur et se faire tuer lui-même.

Ainsi qu’on peut en juger, il y a là matière à bien des développements, rendus plus faciles d’ailleurs par la forme épistolaire. On y trouve de tout dans ce roman : des scènes mélodramatiques et des scènes champêtres ; la peinture des tripots et celle de l’atelier : une parodie de la philosophie matérialiste, assez peu adroite pour avoir paru une apologie de cette philosophie, fait le fond des lettres clu cordelier corrupteur Gaudet d’Arras ; lorsque le paysan se fait homme de lettres, Restif met sous son couvert toutes ses idées sur les écrivains de son temps et ses premiers rêves cosmogoniques. Tout cela forme un assemblage étrange, mais qui, véritablement, n’a pu sortir que d’une tête bourrée de faits, d’idées et d’observations.

Ce serait sans doute abuser de la patience du lecteur que de placer dans cette notice des échantillons des divers styles prêtés à ses personnages par l’auteur ; cependant, on nous pardonnera quelques citations. D’abord la lettre première, d’Edmond à Pierrot, son frère aîné :

Mon cher frère,

Je mets la main à la plume pour te dire que nous sommes arrivés heureusement, Georges et moi, et que l’âne de notre mère n’a aucun mal, quoiqu’il nous ait fait bien de la peine, car il a jeté notre frère et mon bagage dans un fossé, mais notre frère ne s’en ressent pas du tout et rien n’est gâté. Et comme nous sommes arrivés trop tard, Georget couche ici et demain il partira. Ô mon frère ! si tu voyais quel boulevari et quel tapage, et quel remuement, et avec ça comme on est joyeux ici ! tu serais tout étonné, car tout le monde y est brave et la moitié ne fait rien ; on joue, on se divertit, on boit et les cabarets sont tout pleins. Nous avons vu tout ça, parce que le bon M. Parangon nous a dit d’aller nous promener un peu par la ville et un de ses apprentis nous a conduits tout partout. Ah ! comme les églises sont belles ! si tu voyais ! si tu voyais ! Il y a