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XIV
RESTIF ÉCRIVAIN.

je suis sorti convaincu qu’il croit très-naïvement et très-sincèrement qu’il vaut mieux montrer le danger que de le dérober aux intéressés ; qu’un homme et surtout une femme avertie en vaut deux ; que l’on ne perd rien à savoir et qu’on peut tout perdre à ignorer, et je ne puis m’empêcher d’être un peu de son avis parce gue rien ne me semble plus sensé que le petit discours ae Diderot à sa fille quand il la crut en âge de comprendre et de raisonner[1].

Aussi, en reproduisant l’Avis de Pierre R**, placé en tête du recueil de lettres qui composent le Paysan, croyons-nous donner le meilleur résumé de cet ouvrage et indiquer le véritable sentiment de moralisation dans lequel il a été composé :

« Si j’ai rassemblé dans cette liasse tant de lettres de différentes personnes, jointes à celles d’un infortuné qui m’a coûté bien des larmes, c’est dans la vue de mettre ma famille et tous les gens de campagne au fait des dangers que la jeunesse court dans les villes. Ô mes enfants ! restons dans nos hameaux et ne cherchons point à sortir de l’heureuse ignorance des plaisirs des grandes cités : le vice en donne le goût, l’irréligion excite à s’y livrer, le crime fournit des ressources, et la misère, l’infamie, le supplice des scélérats en sont quelquefois les suites. Profitez de la lecture de ces lettres où vous pourrez suivre toute la marche de la corruption qui s’empare d’un cœur innocent et droit : Vous y verrez d’abord le jeune paysan prospérer un peu, perdre ensuite petit à petit ses bons sentiments, devenir libertin, criminel, et de là tomber dans l’infamie, y enfraîner une malheureuse sœur, la perdre tout à fait, se relever ensuite pour retomber plus bas. Mes enfants, un père et une mère respectables en sont morts de douleur et toute sa famille s’est vue plongée dans l’opprobre… Le malheureux se reconnut enfin et il se punit,… mais ce fut en désespéré. Je l’ai vu et mon cœur s’est brisé, car ce malheureux, c’était mon frère.

« Pierre R** »
  1. Après lui avoir expliqué physiologiquement ce qu’était l’amour il conclut : « dès lors, que signifie ce mot si légèrement prononcé : Je vous aime ? Il signifie réellement : Si vous voulez me sacrifier votre innocence et vos mœurs, perdre le respect que vous vous portez à vous-même et que vous obtenez des autres, marcher les yeux baissés dans la société, du moins jusau’à ce que, par l’habitude du libertinage, vous en ayez acquis l’effronterie, renoncer à tout état honnête, faire mourir vos parents de douleur et m’accorder un moment de plaisir, je vous en serais vraiment obligé. »