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XIII
SON ŒUVRE ET SA PORTÉE.

incidents romanesques de la fable et surtout du dénoûment. Voici ce que Restif en dit lui-même dans Monsieur Nicolas :

« Je fis les premières lettres avec un plaisir infini, parce qu’en parlant de mon héros, je racontais les aventures de ma jeunesse, à mon arrivée à Auxerre, en 1751. Je ne me contentai pas de ces allusions : pour donner à mon livre ce fonds de vérité dont je m’étais fait un devoir en prenant la plume en 1766, je donnai à mon paysan perverti les aventures de Borne, le procureur du roi des eaux et forêts, et je les amalgamai au revers des miennes et de celles de quelques autres jeunes gens que le séjour de la capitale avait perdus. Une histoire terrible d’un jeune homme qui, s’élant déshonoré, n’osa plus se montrer et n’errait que la nuit, vint à mon secours pour achever celle du malheureux Edmond. Ainsi ce personnage romantique est un composé de vérités dont ma propre vie a fourni la moitié des détails et le reste, non moins vrai, je l’ai pris à d’autres. Je me disais en écrivant : « Il ne faut pas mentir : qui n’écrit que des mensonges s’avilit soi-même. » Les malheurs de ma sœur Marie-Geneviève, violée par un prêtre, mariée ensuite à un cocher de fiacre, me fournirent l’idée de la corruption et des malheurs d’Ursule… Qu’on imagine à présent comme je devais être affecté en écrivant une histoire dont ma sœur puînée et moi-même étaient la base principale. »

Ce livre qui, complété par la Paysanne pervertie, est un des trois dont le titre au moins a prolongé la mémoire de Restif, mérite sans doute que nous nous y arrêtions un moment. C’est de lui que date dans notre littérature ce courant de réalité que Balzac recherchait avec tant de patience et qu’il rencontrait souvent. Quelques crudités le déparent sans le rendre d’une lecture vraiment dangereuse. Il faut d’ailleurs se rappeler que, dans ce temps, on pensait encore que la peinture du vice pouvait effrayer le jeune homme vertueux prêt à succomber, et que c’est sur cette idée fausse que le médecin Tissot écrivit son traité scabreux à l’usage de la jeunesse. Nous avons, depuis, compris qu’il était bien meilleur de cacher aux jeunes gens, aux hommes mêmes, ces écarts et ces imperfections de la nature humaine, de façon qu’en présence d’une action quelconque ils fussent embarrassés d’en reconnaître la nature et, par suite, obligés de demander des éclaircissements a un directeur de conscience autorisé.

Pour moi ; d’une lecture assez approfondie de Restif,