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XII
RESTIF ÉCRIVAIN.

pense sans cesse. Rousseau est son but ; il veut l’atteindre, le dépasser même et plusieurs de ses livres n’ont pas d’autre raison d’être. Je parle, non du Paysan qu’il prétend lui avoir été inspiré par la lecture de Richardson et qu’il dit être, pour certains critiques, supérieur à Clarisse et à la Nouvelle Héloise mais particulièrement de l’École des pères, d’abord intitulée : l’Educographe, puis le Nouvel Émile, et d’un grand nombre de passages des Contemporaines, de Monsieur Nicolas, etc., où tantôt il loue emphatiquement Rousseau d’être de son avis quand il se trouve être du sien et le rabaisse non moins emphatiquement quand tous deux ils ne sont pas d’accord.

Cette obsession de la renommée de Rousseau est significative. L’exemple du succès qui avait accueilli un homme qui s’était présenté tard au combat, rien qu’avec son éloquence, et dont on s’exagérait le manque d’instruction première et la haine pour les protecteurs, fut alors un des plus puissants encouragements pour les débutants qui se croyaient dans les mêmes conditions. Cet exemple n’avait point été étranger à la vocation de Restif, et c’est pour cela qu’il y revient si souvent et qu’il accumule les affirmations quand il s’agit pour lui de défendre Monsieur Nicolas de n’être qu’une imitation des Confessions.

En cela, nous le croyons volontiers. Il y a deux genres d’hommes prédestinés à écrire leurs mémoires. Ceux qui ont occupé de grandes charges et ont été mêlés aux grandes affaires ; ceux qui, partis de rien, se sont trouvés jetés dans un monde qui n’était pas le leur. Sur ce dernier point, Rousseau et Restif étaient dans la même situation. Tous deux étaient des déclassés, dans le bon sens du mot, c’est-à-dire qu’ils avaient monté d’une classe, tous deux devaient, en conséquence, se reconnaître un mérite exceptionnel et se croire tenus de faire part à la société tout entière de leur progression et de ses causes. Ils ont donc pu avoir chacun séparément cette même inspiration qu’ils ont d’ailleurs mise à exécution

d’une façon si différente. 

Ce qui nous fait admettre plus formellement encore le droit de priorité revendiqué par Restif, c’est qu’il n’a presque jamais fait autre chose, du moment où il a pris la plume, que des confessions : les siennes le plus souvent et quelquefois celles des autres.

Le Paysan perverti est une confession, malgré les