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XI
SON ŒUVRE ET SA PORTÉE.

de toutes les positions sociales que Restif a fait figurer dans les Contemporaines. S’il n’a pas de toutes ces héroïnes tiré une nouvelle spéciale, il les a au moins placées toutes dans le milieu qui leur convenait le mieux. Si leurs aventures ne sont pas partout une conséquence de leur état, elles ne sont jamais en contradiction avec lui. Il était d’ailleurs difficile de mieux montrer que, sous des formes extérieures différentes, le fond du cœur humain est le même, et cette suite de 272 histoires, qu’on peut considérer toutes comme authentiques quoique sous des noms déguisés[1], est l’invitation la plus péremptoire aux lecteurs à ne voir dans la société, ni rangs, ni castes, mais des hommes et des femmes différenciés seulement par le mérite et la vertu.

La vertu est un mot dont Restif se sert fréquemment. Il se disait et se croyait sincèrement professeur de morale. Nous avons déjà dit qu’il se trompait parfois sur ce point[2], mais ce n’est pas dans les conseils qu’il donne, c’est dans la manière dont il les présente. Ici encore il peut s’excuser sur sa qualité de peintre. Il ne vivait pas dans la tout à fait bonne société, et certaines licences de mœurs, voilées ailleurs sous de belles apparences, s’offraient à ses yeux avec toute leur crudité de tons. Il n’en pouvait être choqué et ne pensait pas que cela pût en choquer d’autres ; mais, au fond, jamais il n’a cessé de recommander le mariage, le respect des parents, et aux femmes il a toujours dit : Aimez votre mari, nourrissez vos enfants. Cette dernière injonction, répétée sur tous les tons, n’a certainement pas été inutile dans la croisade entreprise à cette époque, croisade dont Jean-Jacques fut un des coryphées, en faveur de ce retour à une loi de la nature.

Le nom de Jean-Jacques me ramène à ce que je disais plus haut des raisons qui avaient pu le faire appliquer avec une épithète malsonnante à Restif. J’ai signalé l’imitation du style, avec des incorrections en plus ; mais le style n’est pas la seule préoccupation de Restif quand il s’attache à son prédécesseur. Il veut ou en combattre ou en affermir les idées ; il y

  1. Pigoreau, Petite bibliographie biographico-romancière insiste sur ce point et affirme que beaucoup de gens se sont reconnus.
  2. V. les Contemporaines mêlées, p. xiii