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VIII
RESTIF ÉCRIVAIN.

Roman comique, Furetière et le Roman bourgeois ; Voltaire était venu couler dans ce moule ses idées Philosophiques qui, naturellement, devaient rendre intrigue et les personnages choses tout à fait accessoires. Crébillon fils avait enchéri et, sous prétexte de faire la satire des mœurs de la France, il avait transporté ses héros en Perse, et abusait des fées et des génies. Il continuait bien, en même temps, ses admirables scènes d’intérieur de marquis à comtesse, mais il s’agissait là d’un monde trop spécial et, si jolis que fussent le Hasard du coin du feu ou la Nuit et le moment, cela était trop raffiné pour être facilement imitable et devenir un genre populaire. La véritable tradition du roman, que Le Sage avait aussi détourné de sa voie en n’en faisant qu’une pièce à tiroirs, n’existait plus que chez l’abbé Prévost, Marivaux et MMe Riccoboni. Diderot, qui devait nous laisser de si inimitables modèles, n’avait rien publié qu’une facétie imitée de Crébillon : les Bijoux indiscrets ; et la Nouvelle Héloïse, de Rousseau, paraissait alors un chef-d’œuvre qu’on se serait fait scrupule d’imiter.

De tous ces maîtres, ce fut pourtant ce dernier que choisit Restif. C’est en cela que se fait sentir sur lui l’influence de l’époque. Or, cette influence, qui est toujours sérieuse, ne s’exerce jamais que corrigée et modifiée par le caractère propre de l’homme influencé. Il suit le courant, mais sans sacrifier sa personnalité, quand il en a une, et qu’elle s’est déjà développée dans le premier milieu où il a vécu.

Rousseau, quoique parti d’aussi bas que Restif, et peut-être même de plus bas, avait approché un certain monde et s’y était tout d’abord complu. Son roman s’en était ressenti, et quoiqu’il y eût mis son âme, il avait un peu travaillé a ne pas s’y dévoiler trop crûment. De là des accents vrais à côté de sentiments alambiqués, de là un certain convenu, en rapport avec les habitudes du temps, mais qui rend aujourd’hui la Nouvelle Héloïse bien difficile à lire. Restif, ne pouvant avoir la même science de la rhétorique, ne comprit pas tout de suite qu’il n’en avait pas le même besoin. Il crut trouver dans Rousseau une forme de style nécessaire pour agir sur la majorité des lecteurs, et c’est pour cela qu’il est trop souvent, comme son modèle, déclamateur et outré. C’est ce défaut surtout