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VII
SON ŒUVRE ET SA PORTÉE.

Ne cherchons pas de quel côté venait celui qui portait le nom de Restif aux échos ; peut-être à certains moments, rares, très-rares, les deux trompettes ont-elles sonné à l’unisson. Ce qui est sûr, c’est que, dans le mélange des qualités et des défauts de l’écrivain, si les défauts l’emportent, il n’en est pas au moins de lui comme de tant d’autres, qui n’ont absolument que des défauts et comme d’un plus grand nombre encore qui n’ont rien : ni défauts, ni qualités.

Les défauts de Restif sont l’emphase, la fausse éloquence, souvent la prétention à une érudition qu’il n’avait pas, parfois la grossièreté et plus fréquemment encore la platitude. Ses qualités sont la naïveté et la recherche permanente de l’exactitude. Nous l’avons entendu dire[1] : Io sono pittore, et cela était juste. Il est peintre, non d’histoire, mais de genre, et c’est comme tel surtout qu’on le verra dans les extraits que nous avons réunis ici. Eh ! les Teniers peuvent être méprisés par les Louis XIV, mais les Louis XIV sont finis et, progrès ou décadence, nous en sommes aujourd’hui à tenir compte dans nos jugements sur les artistes, de leur talent d’interprètes plutôt que de la dignité de leurs conceptions. C’est que, depuis le XVIIIe siècle, nous sommes entrés dans la période de la critique au lieu d’être restés dans la période du sentiment ; que nous voulons savoir et non plus simplement être touchés ou amusés et que, même dans nos écarts, dans ce qu’on appelle la passion du bibelot, on reconnaît l’influence de cette cause toute puissante.

C’est donc comme peintre que nous devons d’abord considérer Restif. Au moment où il débutait, la littérature dans tous les genres était dans une anarchie complète. Le roman, en particulier, avait passé déjà par tant de formes qu’il ne savait plus à laquelle s’arrêter. Les grandes et majestueuses compositions des Scudéri, des d’Urfé étaient absolument et à bon droit passées de mode. On n’écrivait plus d’un trait dix volumes sur les amours de Clélie, dame romaine ; MMe de Villedieu, qui en avait composé plus de vingt sur les amours des grands hommes et de tous les personnages illustres, avait, à son tour, lassé la patience des lecteurs. On avait oublié Sorel et le Francion, Scarron et le

  1. Restif, Contemporaines mêlées, p. 263.