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de ma part. Il regarda sa femme : — « Je ne savais pas qu’il sût mentir. — Mon ami, voyez s’il ment : ouvrez le livre où vous voudrez, citez un trait, et s’il l’achéve, vous verrez qu’il l’aura lu. » Beaucousin se frappa le front, et embrassa sa femme. « Jamais cette idée ne me serait venue… Voyons, compère Nicolas ? » Il ouvrit le P. Caussin, au joli trait d’Emma, fille de Charlemagne, portant son galant Eginhard, de peur que l’empreinte de ses pieds, sur la neige tombée durant la nuit, n’indiquât où il l’avait passée. Je la lui répétai tout entière. Il en fit autant pour le Miroir des Passions ; il me cita l’Avare. Je lui répétai ce trait, qui après tous les traits possibles de lésinerie, couronne dignement la vie de l’Avare : un apothicaire apporte une médecine ; l’Avare dispute sur le prix ; l’apothicaire la laisse à cinq sous ; l’Avare est prêt à la prendre, mais, en fouillant dans sa bourse, il change d’avis : « Remportez votre médecine : mourir de ne pas la prendre… ou… mourir de regret d’avoir donné mon argent… je préfère le premier. » En même temps, il s’appesantit sur son oreiller, résolu de mourir, plutôt que de dépenser cinq sous… M. Beaucousin en resta là. « Il a tout lu ! » s’écria-t-il, « en une semaine ! et moi, depuis vingt ans que je les ai, je n’en ai pas lu vingt pages !… Allons, allons, je vais en emprunter. » Et il m’apporta des romans, que ma sœur eut l’adresse de faire disparaître, avant que j’en eusse vu les titres, à l’exception d’un : c’était Gil Blas, dont je lus quelques pages qui