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dont le visage efféminé, les couleurs vives et rosées annonçaient plutôt une fille déguisée qu’un véritable garçon. Un soir Fayel, avec qui je jouais souvent après souper, soit aux échecs, soit au cochonnet, gros dé à douze faces, me boudait plus qu’à l’ordinaire ; il n’avait pas voulu que je fisse sa partie et il ne me répondit pas. Je n’en pus dormir de la nuit. Le matin, je dis à Fayel : — « Que t’ai-je fait ? Parle ; je suis prêt à réparer mes torts ; mais ne me boude plus ! ton amitié m’est nécessaire… » (Voilà du moins le sens). Frère Nicolas me regarda, je vis des larmes dans ses beaux yeux : j’en fus si touché que je me jetai à son cou. — « Ah ! » me dit-il, « j’ai le malheur d’être jaloux !… Mon cher Augustin ! je hais frère Jean-Baptiste, ne lui parle plus. — Veux-tu que je sois ingrat ? Ne m’a-t-il pas soigné en frère ?… Ah ! tu veux que je sois ingrat !… » Je m’arrêtai un moment ; puis, jetant les yeux sur Fayel, je crus le voir pâle… — « Eh bien, je serai ingrat, » lui dis-je, « oui, je le serai plutôt que de te chagriner. » Notre amitié fut cimentée par là. Mais je priai frère Joseph, mon voisin de droite, de faire mes excuses au jeune Poquet. Cet enfant me fit dire : — « Je connais Fayel ; que frère Augustin ne soit pas inquiet de moi, je l’aimerai toujours, et Fayel aussi. »

Je n’ai peut-être pas dit que cet aimable et raisonnable enfant était l’ami de l’abbé Thomas. Mais on sait que notre ordinaire était fort mauvais. Le maître et le sous-maître, qui avaient du rôti le soir, comme