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ainsi qu’est né l’esprit de propriété, source des vices et des malheurs des infortunés Mortels, et il était impossible qu’il ne naquît pas… Nous vîmes tous les jours notre champ : chaque développement de feuille était un épanouissement de notre existence. C’était un trop grand bonheur, pour le renfermer en moi-même : — « Papa ? dis-je un soir, j’ai semé des pois, et ils poussent, comme si vous les aviez semés vous-même ! — Ho, ho ! tant mieux ! si notre champ manque, nous aurons recours au tien. — Mais c’est qu’il n’est pas à moi seul ; Edmlot Bérault en a la moitié ! — Nous partagerons les fruits. » Quelle joie ! Dans le fond du cœur, je désirai que le champ de mon père manquât, afin que le mien servît. Car dés lors la seule véritable gloire à mes yeux, était d’être utile, et c’est à cette rectitude de vues que j’ai dû tout ce que j’ai montré d’activité.

Quelque temps après, le lendemain de deux jours de pluie, nous trouvâmes nos pois en fleur : nouvelle extase ! Tout nous étonnait ! tout était extraordinaire et jouissances pour nous… Les gousses se formérent ; elles se remplirent ; le temps de la récolte approchait, quand un jour, n’ayant pas trouvé M’lo, j’allai seul à notre domaine. Quel ravage, grand Dieu ! quelle dévastation ! Les pois étaient arrachés ! les gousses, fraîchement ouvertes, paraissaient vidées par un gourmand qui venait d’en faire son déjeuner ; car je voyais sur la terre des miettes de pain bis. Peu s’en fallut que je ne m’évanouisse !