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parler en homme, copiant ce que mon père racontait quelquefois de sa conduite avec les compagnons de son enfance. Si, comme certains parents, il n’eût raconté que des prouesses immorales, mon caractère était faussé à jamais, et mon jugement vicié sans retour… Je ne sais où j’avais entendu parler de caverne, ou si le goût d’un repaire nous est naturel ; mais il y avait près de la maison paternelle une petite carrière d’argile, que je pris en affection : j’y fis une sorte de banc ; j’y portai des brimborions de ma mère et de mes sœurs ; j’y composai un petit ménage, avec mes ustensiles d’enfant, sans oublier le prie-Dieu et son crucifix. Lorsque tout fut à mon gré, je pris M’lo Bérault par la main, et je l’y menai. Je voulais jouir de son étonnement et de sa reconnaissance, en lui déclarant que je le mettais de moitié dans la propriété de ma cargniote ; car on ne dit pas caverne, dans le pays. Il fut peu surpris, peu sensible ; mais l’asile lui plut, à cause de sa fraîcheur… Il fut convenu que nous y viendrions tous les jours, sans en parler à personne. J’étais transporté de joie ! Je me fis une jouissance d’y donner à goûter journellement à M’lo. Les mets n’étaient pas coûteux, ni difficiles à se procurer ; le petit paysan ne mangeait que du pain bis ; chez nous on mangeait du pain blanc, et c’était un régal pour lui. J’y joignais tantôt des noix, tantôt des pois ronds crus, ou en grôlée, comme on en donne le premier dimanche de Carême ; tantôt des lentilles, et les jours où l’on cuisait le pain, de la galette, ou de la