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sensible qu’à l’amour, puisses-tu lui survivre dans mon cœur, comme tu l’y as précédé !… Mon premier ami fut un enfant mon voisin, né le même jour que moi, appelé Edme, ou, comme on dit dans le pays, M’lo Bérault. Mon attachement pour lui était extrême ! mais j’entrevoyais qu’il y répondait faiblement, et que son âme engourdie n’était pas sensible et délicate comme la mienne. J’en étais peiné. Pour me le concilier, je lui faisais des présents : faible moyen, qui ne réussit pas mieux avec les amis ingrats, qu’avec ces femmes, vils simulacres de leur sexe… Je commençais à aimer la solitude, par un sentiment que je puis expliquer aujourd’hui ; c’était l’orgueil. Je sentais que je ne pouvais briller par mon mérite : j’ignorais le prix de ma beauté, dans un pays où celle des fleurs n’est pas sentie, et où l’on n’estime les animaux qu’à raison de leur force et de leur utilité ; aussi la mienne ne m’avait-elle attiré, dans Sacy, que des désagréments ; je me sentais faible, ignorant, incapable. J’étais le jouet des grandes filles, qui m’embrassaient pour se divertir, ou plutôt pour exciter les grands garçons ; ceux-ci m’étaient insupportables, par leur air de moquerie et de méchanceté : les hommes me paraissaient durs. J’aimais assez les vieillards des deux sexes, parce qu’ils me louaient, me parlaient raisonnablement, et ne se moquaient jamais de moi. Mais la compagnie de mon camarade d’école était délicieuse ! Avec lui, je me trouvais à l’unisson, et je goûtais le charme de l’égalité. J’affectais de lui