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et ma sauvagerie en augmentera. Il se peut que mon père, en m’ôtant à maître Jacques, eût senti les conséquences que j’ai exposées, de sa conduite envers moi ; mais, sans le savoir, il me livrait à un péril plus grand.

Ce fut à mon retour de Vermenton, et peu de temps après une incongruité non volontaire, commise sur Ursule Rameau, jolie fille, dont la perte a causé tant de douleur à sa mère, que j’eus le premier accès de cette orgueilleuse et sauvage timidité, qui a fait le tourment de ma vie. Ma mère m’envoyait chercher une voisine, appelée la Grand’Jeanne, qui demeurait à la Croix-du-cimetiére. Après avoir fait vingt pas hors de notre avant-cour, je vis beaucoup de monde sur la place du Terrehaut ; je jetai un coup-d’œil sur moi-même, et je me trouvai mal habillé. Je revins demander mon fourreau rayé. On m’en vêtit, et je gagnai la rue. Vis-à-vis la porte à la Polie, j’aperçus une grosse chenille à longs poils. Je n’osai passer. Une poule se promenait auprès ; je me rappelle que je pensais : « Si elle la mangeait donc ! » Il me vint cependant une réflexion raisonnable : « Je suis plus gros que cette poule, qui n’a pas peur de la chenille, et moi, j’en ai peur !… » J’eus honte de ma pusillanimité, qui m’était inspirée par ma sœur Margot, la plus sotte petite créature qui ait jamais existé. Je passai, non sans précaution. Je triomphais, lorsque le chien favori se fit entendre à la porte du presbytère. Je frissonnai ! Mais comment faire ? D’un côté, l’épouvan-