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Le cinquième trait de ma première enfance, est d’un genre différent : il ne s’agit que d’une petite tricherie, faite pour avoir la récompense promise, quand j’évitais une échappée nocturne. Je couchais dans la chambre de mon père, entre deux armoires, sous un grand tableau octogone de la Vierge tenant son Fils. Je m’éveillai durant l’échappée, au bruit que firent les batteurs en grange, en prenant de la lumière. Désespéré d’un accident incommode et qui m’humiliait, il me vint dans l’esprit de sécher ma place par ma chaleur naturelle, le jour devant encore être fort éloigné !… Je réussis. Le lendemain, à mon lever, de grandes louanges me furent prodiguées ! Je les reçus modestement, n’osant rappeler qu’il y avait une récompense attachée à ma vertu ! Une de mes sœurs le fit pour moi. L’on me donna de la gelée de groseille, que j’aimais passionnément. Je pris la tartine ; mais me ressouvenant que la Vierge pleurait, quand il m’arrivait, de mentir, mes yeux se portèrent sur l’image, je crus la voir pleurer ! Je retirai de ma bouche la tartine déjà mordue, et je la présentai à ma sœur Margot. Elle la refusa. Tout le monde est étonné ! L’on me croit malade ; on m’interroge. Je rougis, baissai les yeux, et montrant la Vierge : — « Elle pleure ! » dis-je en sanglotant[1].

  1. C’est ainsi que les hommes, dans l’enfance d’une lente et pénible civilisation, croyaient d’abord, puis voyaient les prodiges que leurs prêtres attestaient : aujourd’hui l’on ne voit plus de miracles, parce que les hommes ne sont plus des enfants. Une chose qui m’étonne, c’est que le serment