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année. Impatienté de ce qu’on me laissait nu, sans me lacer, je m’en pris au miroir de toilette, où ma sœur Margot me montrait ma figure grimaçante : je le brisai d’un coup de manche de couteau de table. Les fêlures m’enlaidirent encore, et les facettes multipliant les objets, je crus voir un monde derrière le miroir ! Ce phénomène suspendit mes larmes, et j’éprouvai mon premier étonnement, ma première admiration ; j’eus ma première réflexion… Je ne fus pas châtié ; ma mère se contenta de pleurer son dernier miroir de toilette…

Le second trait est de six mois plus tard. Anne, 1737ma sœur et marraine, venait d’être mariée à Vermenton. En la reconduisant, le jour qu’elle alla demeurer chez son mari, on m’avait porté sur les bras jusqu’au Moulinot[1]. Je profitai, dès le lende-

  1. Ce petit moulin n’existe plus, mais on en voyait encore les ruines dans ma jeunesse. Ceci prouve une vérité physique très importante : c’est la diminution successive des sources et des rivières. Pour que le Moulinot allât, il fallait que les Fontaines de Joux coulassent jusqu’à Sacy, avec celle de la Chapelle, la grande source de la Farge, les deux Fontaines Saint-Jean, dont la méridionale est tarie depuis cent ans, la Fontaine de la maison de la Bretonne, et les Toûs du Crot-Domo : il fallait, dis-je, que tout cela coulât par la levée, au milieu de laquelle existent encore les restes du bassin qui était le point de réunion, et dans lequel j’ai vu du poisson, durant ma première enfance. Qui a tari ces sources très promptement ? L’essartage de toutes les collines, qui non seulement les a privées de leur humidité, mais a facilité leur dégradation par les pluies, au point que j’ai vu le sol des Prés-des-roies ou des rigoles, s’élever de quatre pieds, et de noyé qu’il était, devenir excellent. La terre vieillit et se dessèche comme nous.