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1746 — MONSIEUR NICOLAS

par une apparence de zèle pour les intérêts de la maison, et en déguisant ses mauvaises qualités avec tant de soin, que ma mère disait quelquefois de lui : — « Il ne faut pas s’en rapporter à la mine ; car Pierre l’a bien mauvaise ! J’aurais eu peur de lui dans un bois ; et si pourtant c’est un bon garçon… » Mon père, lui-même, fut la dupe de ce dangereux sycophante. Quant à moi, pour me gagner, des contes suffisaient. Il en savait un grand nombre, et il avait plus d’art que son frère pour les raconter. J’ai dit dans l’École des Pères, que Nitry n’avait pas un patois grossier ; le langage y est assez pur, et n’a que quelques singularités ; on n’y souffre pas la prononciation nasale ; an ou en, om ou on, um ou un, y prennent un son clair, comme en Grec, ou comme s’ils étaient doubles ; on y prononce pan, pann ; pain, painn ; empêcher, emmpêcher ; on, onn ; bien, bienn ; cousin, cousinn ; un, unn, etc. On y évite les gérondifs, et tous les mots où le son nasal est essentiel. Cette prononciation est très agréable dans la bouche des jolies filles, qui ont la voix douce, argentine ; ce qui est commun à Nitry… C’était dans ce langage, que Pierre Courtcou débitait ses récits à un adolescent avide de contes, et qui avait fait ses délices de ceux qu’on lui racontait dans le désagréable patois de Sacy. J’écoutais le berger avec tant de plaisir, qu’un conte commencé m’enchaînait à lui, comme on dit que Mercure retenait ses écoutants par la chaîne d’or qui sortait de sa bouche. Il me faisait ainsi négliger l’écriture, à la-