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famille dont on est sorti existèrent parfaitement, c’est dans le cœur de Madeleine Restif. Elle avait été la plus belle fille du canton, ce qui ne l’avait pas rendue heureuse ; car son premier mari était un joli libertin, que mon aïeul préféra, parce qu’il était spirituel et qu’il avait du bien ; mais il s’endetta bientôt, s’engagea, partit pour la guerre d’Italie sous Catinat, et sa femme le suivit. Elle dit, en pleurant, quand elle quitta la bonne Anne-Marguerite Simon, sa mère : — « Et ils seront deux dans une seule chair : je ne séparerai pas ce que Dieu a uni. » Elle fut quatre ans avec les vivandiers et vivandière elle-même, sans perdre de son innocence native, avec un mari perdu de débauche dans les deux genres… Bourrelier d’Aiguesmortes mourut au bout de deux ans de retour, sans laisser d’enfants… Madelon était presque ruinée. Un homme intelligent, nommé Gautherin, de nos parents éloignés, prit ses affaires en main et les régla en quelques années. Il conçut une si grande estime pour la jeune veuve, qu’il vint prier mon père de lui proposer le mariage. Ce qui rendait cet honnête homme timide, c’est qu’il était borgne. Mon père fut charmé de donner à sa bonne sœur, comme il l’a toujours appelée, un praticien éclairé, sage, économe. Il proposa donc M. Gautherin, qu’elle accepta. Elle n’eut pas encore d’enfants de son second mariage ; mais elle aimait ceux de son frère comme s’ils eussent été les siens ; j’étais surtout l’objet de ses complaisances et de sa tendre et sincère affection ; aussi, dès qu’on me parlait