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Après qu’il m’eut fait son conte de l’Homme volant, dans lequel il mêla une certaine aventure pendable, qui était arrivée à son frère, dans la maison où il servait, à Coutarnoux, nous nous amusâmes à projeter : « Si nous avions des ailes, nous ferions telle et telle chose. » Et François n’imaginait rien moins que des actions vertueuses. Il me parla des filles de Nitry qu’il aurait enlevées pour les conduire sur quelque rocher au milieu des bois, où il les aurait nourries, et où il se proposait de jouir également de leurs faveurs et de leurs larmes, de leurs frayeurs, de leur dégoût pour lui ; car il faisait entrer ce détestable raffinement dans l’énumération de ses plaisirs, attendu qu’il était extrêmement défiguré par la petite vérole. Il me traçait avec complaisance des tableaux obscènes de ce qu’il exigerait de ces infortunées, auxquelles il rendrait tous leurs mépris : il s’en voyait redouté, supplié, caressé par frayeur : ce motif seul paraissait flatteur pour lui. C’est, en effet, l’affreux sentiment naturel à une âme aigrie, viciée par l’opprobre et par la misère : Pauvreté n’est pas vice ; mais c’est le champ dans lequel il croit. Heureusement, je ne trouvai rien dans mon cœur qui me donnât l’idée de cette volupté brutale ; j’avais l’âme tendre avec des passions vives.

La semaine suivante arriva la Saint-Christophe, fête patronale de Nitry. Mon père devait y aller, et il m’y mena chez ma tante Madelon. Si jamais la bonté, la vertu, la tendresse du sang, l’amour de la