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Le récit que venait de me faire Étienne est le seul qui ait eu cours dans le pays.

Nous passâmes une agréable soirée, mon camarade et moi : c’est une de celles de mon enfance que je me rappelle avec plus de plaisir. C’était la dernière fois que nous allions aux champs ensemble.

Ma mère, timide comme toutes les femmes, avait été si effrayée de l’accident de la veille qu’elle avait envoyé à Nitry, savoir si l’un des Courtcou ne pourrait pas venir sur-le-champ. François, l’aîné, qui passait pour le moins libertin, venait d’être chassé de chez son maître, et il vint avec la servante qui rétait allée chercher. Quoique la Nannon fût affreusement laide et chassieuse, il la voulut mettre à mal dans les bois, au milieu desquels il la fit passer, sous prétexte d’abréger le chemin. Elle ne succomba pas (dit-elle dans la suite) ; mais elle fut si flattée de l’attaque, qu’elle en ménagea l’auteur. Il aurait mieux valu pour moi qu’on me laissât exposé aux loups que de me donner une pareille société. On me permit, le premier jour, d’accompagner le nouveau berger ; car il fallait lui faire connaître le finage et les meilleures vaux pour le pâturage. C’est à cette arrivée de Courtcou que mon innocence de cœur, jusqu’alors intacte, reçut une atteinte funeste.

François et Pierre Courtcou, son frère, qui lui succéda, s’étaient corrompus dans la mendicité depuis la mort de leur père ; ils étaient désobéissants et se révoltaient contre les remontrances de leur bonne mère, que sa pauvreté empêchait de les